si, c'est vrai !

les limites du libre marché

Pour Jean-François Couvrat, la crise actuelle trouve son origine dans un excès de profits.

Trop de profits pour quelques-uns : le capital accumulé nourrit la spéculation boursière ou la distribution de crédits de plus en plus risqués. Pas assez de salaires pour la plupart : les ménages consomment à crédit, jusqu’à épuisement de celui-ci, au lieu de justifier par une demande solvable l’investissement du capital dans de nouveaux moyens de production.

Loïc Abadie, partisan de la théorie de la déflation, explique la crise actuelle par des facteurs psychologiques. La cause-racine qu’il identifie consiste en une trop grande confiance des opérateurs du marché, entraînant des prises de risques trop importantes.

Après une période de grande agitation (crise des années 30, guerre mondiale, reconstruction), nous avons eu des variations d’ampleur moyenne pendant les années 70 (chocs pétroliers), puis très réduites dans les années 80-90. L’implosion de la bulle internet en 2000 et la petite récession de 1991 ont provoqué des perturbations très légères.

Conséquence de cette évolution de fond : le sentiment de sécurité a progressé chez tous les opérateurs qui étaient de plus en plus confiants, constatant autour d’eux un environnement économique de plus en plus stable et tranquille. De cette confiance naît l’euphorie et la perte de conscience du risque…Les générations qui ont toujours vécu dans cet environnement « tranquille » et sont arrivées au sommet de la hiérarchie sociale ont porté aussi au sommet cette euphorie.

La cause racine de la crise, c’est cela, et rien d’autre. Tous les échelons de la société ont été touchés par cette excès de confiance.

Mais si les incertitudes ont diminué du côté des opérateurs du marché et de la consommation, elles ont parallèlement augmenté du côté des travailleurs. Le travail intérimaire s’est accru de façon sans précédent, entraînant une précarisation accrue d’une part toujours plus grande de travailleurs et réduisant de ce fait la durée moyenne du travail. L’indice de Gini a augmenté, mettant en lumière une augmentation des inégalités de revenu. L’évolution des salaires a de la peine à compenser l’inflation. En somme, le fait que certains indicateurs économiques étaient au vert jusque récemment montre qu’il est temps de remettre en question leur pertinence et d’imaginer de nouveaux indicateurs, représentatifs de la réalité.

Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, il semble qu’il y ait une incompatibilité entre les intérêts des opérateurs de marché et des consommateurs d’une part, et ceux des travailleurs d’autre part. Ils évoluent selon un facteur inverse comme si le Dr Jekyll consommateur et le Mr Hyde travailleur étaient irrémédiablement inconciliables, l’opérateur de marché finissant toujours par avoir le dessus sur le travailleur, aidé en cela par le consommateur. Dr Jekyll n’étant pas conscient des limites à ne pas franchir, il se comporte en parasite affaiblissant trop son hôte, jusqu’à le mener à sa perte, entraînant de ce fait sa propre perte !

Le libre marché repose sur l’idée de la main invisible, une idée d’Adam Smith reprise ensuite par des économistes pour fonder leurs théories de non interventionnisme étatique. L’idée de la main invisible présuppose que la recherche de l’intérêt individuel par chacun a pour conséquence l’intérêt collectif. Elle justifie le fait de privilégier l’intérêt individuel et de ne pas oeuvrer à l’intérêt collectif, le second étant la conséquence naturelle du premier. Elle promeut l’individualisme. Or, rien ne prouve que cette idée de main invisible soit effectivement applicable à l’économie, rien ne prouve que les individualités des opérateurs du marché sauront s’autolimiter de manière à ne pas trop affaiblir les individualités du travail, permettant à l’ensemble de trouver un équilibre où chacun puisse s’épanouir.

Si l’on voulait schématiser l’évolution d’une société au lendemain d’une situation difficile, on pourrait présenter le scénario type suivant :

  1. Au lendemain d’une situation difficile, la population est confrontée à des difficultés, elle est soudée, unie dans l’adversité. Un gouvernement de gauche est élu et porté au pouvoir. Il privilégie une politique sociale, instaurant des services publics et préférant l’action collective à l’action individuelle. L’incertitude du marché est encore élevée mais elle diminue. La consommation des ménages est faible.
  2. La situation s’améliore peu à peu et les difficultés s’estompent une à une. Dans une situation de plus en plus confortable, la population devient plus individualiste. Un gouvernement de droite arrive au pouvoir et privatise les services publics les uns après les autres, flatte l’initiative individuelle tout en stigmatisant les soi-disant assistés. L’incertitude du marché se stabilise. La consommation des ménages commence à augmenter.
  3. Selon les indicateurs économiques officiels, l’économie se porte au mieux et la conjoncture économique incite à un excès de confiance. L’économie tend à se découpler des besoins réels de la population et la publicité et le marketing sont appelés en renfort afin de d’écouler les surplus de production. Il faut stimuler la demande pour entretenir la production. L’incertitude du marché diminue rapidement. La consommation des ménages augmente rapidement.
  4. La machine économique s’emballe et ne peut plus reculer, au risque de s’enrayer. Une bulle spéculative apparaît et se développe. Inévitablement, le décalage grandissant entre la bulle spéculative et la réalité entraînera l’éclatement de la bulle spéculative et le douloureux retour à une phase 1, plus ou moins long et grave selon l’ampleur de la bulle considérée. L’incertitude du marché est faible, trop faible et ce jusqu’à ce qu’elle se mette à augmenter rapidement avec l’éclatement de la bulle spéculative. La consommation des ménages est au plus haut avant de chuter violemment. La boucle est bouclée.

Dans le cas qui nous intéresse, depuis la seconde moitié du 20ième siècle, la progression croissante du capitalisme s’est accompagné d’un accroissement des inégalités. Une part importante du PIB a glissé des salaires vers le capital. Cela n’a cependant pas trop entraîné de protestations de la part des travailleurs car si les salaires ont diminué en proportion, ils ont augmenté en numéraire. Autrement dit, même si la part du gâteau est proportionnellement plus petite qu’avant, le gâteau est tellement plus gros qu’au final, chacun a plus de gâteau qu’avant. C’est sur cet état de fait que le capitalisme actuel, de droite comme de gauche, a fondé sa légitimité et a tenté de couper court à toute contestation.

Comment ledit gâteau a-t-il tellement augmenté ces dernières décennies ? Tout simplement grâce à une énergie bon marché qui nous permet de disposer de nombreux esclaves énergétiques. Nous vivons au dessus de nos moyens grâce à une énergie abondante. Or l’ère de l’énergie abondante et bon marché arrive à son terme, le gâteau est donc amené à diminuer année après année (le lien de cause à effet peut sembler difficile à cerner, mais cela nécessiterait d’y consacrer un autre billet). En conséquence, la part de gâteau des travailleurs est amenée à diminuer. Ce fait constitue, avec l’actuelle crise financière, l’un des premiers épiphénomènes de la triple crise qui s’annonce.

Durant les mois et les années à venir, il est probable que le gouvernement soit mis en difficulté par la population qui, voyant sa part de gâteau diminuer en numéraire, devrait contester de plus en plus l’action du gouvernement et le libre marché en général. Cette contestation devrait monter en puissance au fur et à mesure que la vie deviendra plus difficile pour les citoyens.

En réponse à cette contestation populaire, on peut imaginer 3 scénarios possibles :

  • une dictature (gouvernement fort à même de museler la contestation populaire)
  • un chaos social (une sorte d’anomie où règne la loi du plus fort)
  • une démocratie sociale qui se situerait bien à gauche de la gauche actuelle

L’évolution vers un de ces scénarios dépendra de la vigilance de chacun, de la mobilisation des idées et des citoyens et surtout de leur capacité à maintenir les idées en vie et à se constituer en force de proposition.