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comment tout peut s'effondrer

Dans un livre intitulé comment tout peut s’effondrer, et sous titré “petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes”, les auteurs Pablo Servigne et Raphaël Stevens mènent une étude de collapsologie sur l’avenir de nos sociétés.

A la page 183, les auteurs citent Jared Diamond qui a identifié 5 facteurs récurrents d’effondrement, dont un est systématiquement présent.

Jared Diamond a identifié 5 facteurs d’effondrement - récurrents et souvent synergiques - des sociétés qu’il a étudiées :

  • les dégradations environnementales ou déplétions des ressources
  • le changement climatique
  • les guerres
  • la perte soudaine de partenaire commerciaux
  • et les (mauvaises) réactions de la société aux problèmes environnementaux

Le seul facteur commun à tous les effondrements est bien le cinquième, celui d’ordre sociopolitique : les dysfonctionnements institutionnels, les aveuglements idéologiques, les niveaux des inégalités et surtout l’incapacité de la société - et particulièrement des élites - à réagir de manière appropriée à des événements potentiellement catastrophiques.

Dans la fin de son livre Jared Diamond s’interroge sur les raisons qui poussent les “sociétés” à prendre des mauvaises décisions. Il explique donc que les groupes humains subissent des catastrophes pour plusieurs raisons : parce qu’ils n’arrivent pas à les anticiper, parce qu’il n’en perçoivent pas les causes, parce qu’ils échouent dans leurs tentatives de “résolution des problèmes”, ou simplement parce qu’il n’y a pas de “solutions” adaptés dans l’état de leurs connaissances.

En fait, ce fameux cinquième facteur accentue la vulnérabilité d’une société (son manque de résilience) au point de la rendre très sensible aux perturbations qu’elle encaisse habituellement sans problème. C’est ce qui a poussé récemment l’archéologue et géographe Karl W. Butzer à proposer une nouvelle classification, distinguant les “préconditions” d’un effondrement (ce qui rend les sociétés vulnérables) des “déclencheurs”, (les chocs qui peuvent la déstabiliser). Les préconditions sont souvent endogènes (incompétence ou corruption des élites, diminution de la productivité agricole, pauvreté, mais aussi diminution des ressources naturelles, etc.), elles réduisent la résilience de la société et sont des facteurs de déclin ; alors que les déclencheurs, plus rapides et souvent exogènes (événements climatiques extrêmes, invasions, épuisement de ressources, mais aussi crises économiques, etc.), provoquent des effondrements s’ils sont précédés de préconditions “favorables”. Autrement dit, ce qu’on appelle habituellement une catastrophe “naturelle” n’est jamais vraiment étranger à l’action humaine.

Joseph Tainter complète cette idée de dysfonctionnement politique en y ajoutant un facteur thermodynamique, c’est-à-dire en constatant que la complexité croissante des institutions sociopolitiques se fait à un “coût métabolique” toujours plus élevé, c’est à dire des besoins croissants en matière, en énergie et en basse entropie. En fait, les grandes civilisations sont prises dans un piège entropique dont il est presque impossible d’échapper. Pour reprendre les mots du politologue américain William Ophuls, lorsque les quantités disponibles de ressources et d’énergie ne permettent plus de maintenir de tels niveaux de complexité, la civilisation commence à se consumer en empruntant au futur et en se nourrissant du passé, préparant ainsi la voie à une nouvelle implosion. S’ensuit une grande période de “simplification” de la société comme ce fut le cas en Europe après l’effondrement de l’Empire romain, durant tout le Moyen Age : moins de spécialisation économique et professionnelle, moins de contrôle centralisé, moins de flux d’informations entre les individus et entre les groupes, et moins de commerce et de spécialisation entre les territoires.

La grille d’analyse précédente appliquée à la civilisation thermo-industrielle actuelle met en lumière la fragilité de cette dernière, illustrée à la page 186.

Notons d’abord que le monde présente des signes alarmants au moins pour trois des cinq facteurs identifiés par Diamond : dégradation environnementale, changement climatique, et surtout dysfonctionnement sociopolitique (verrouillage sociotechnique, aveuglement des élites, niveau ahurissant des inégalités, etc.). La civilisation thermo-industrielle, quant à elle, qui ne concerne qu’une partie de la population du globe, présente en plus, les signes caractéristiques d’un effondrement selon Tainter : une complexité croissante très énergivore couplée à l’arrivée d’une phase de rendements décroissants.

Comment se déroule un effondrement ? Il n’est homogène ni dans le temps ni dans l’espace, mais l’ingénieur russo-américain Dmitry Orlov a analysé l’effondrement de l’Union soviétique et en tire 5 stades d’effondrement, par ordre de gravité croissante :

  • effondrement financier
  • effondrement économique
  • effondrement politique
  • effondrement social
  • effondrement culturel

Michel Rocard, cité en page 246, écrivait en 2011 dans un article du Monde intitulé le genre humain, menacé que l’effondrement politique se manifestera par la chute de la démocratie.

La démocratie sera la première victime de l’altération des conditions universelles d’existence que nous sommes en train de programmer. […] Lorsque l’effondrement de l’espèce apparaîtra comme une possibilité envisageable, l’urgence n’aura que faire de nos processus, lents et complexes, de délibération. Pris de panique, l’Occident transgressera ses valeurs de libertés et de justice.

Nous payons aujourd’hui les choix faits par nos ancêtres depuis 200 ans (page 254).

Le choix a été de ne pas le faire. Depuis les années 1990, tout à même continué à accélérer, malgré les nombreuses mises en garde. Et aujourd’hui il est trop tard.

Il est donc légitime de se demander si nos ancêtres ont réellement souhaité une société “durable”. La réponse est non. En tout cas, certains ancêtres, ceux qui ont eu à un moment donné le pouvoir d’imposer des décisions techniques et politiques aux autres, ont fait le choix d’une société non durable en connaissance de cause. Par exemple, là question de l’épuisement (et donc du gaspillage) des énergies fossiles s’est posée dès le début de leur exploitation, autour de 1800. Certains plaidaient pour une consommation très raisonnables, mais leur voix fut marginalisée. L’économiste britannique William Stanley Jevons résumait très bien en 1866 cette question du charbon (qui peut très bien s’appliquer à toutes les énergies fossiles) à “un choix historique entre une brève grandeur et une plus longue médiocrité”. Vous devinerez aisément l’option pour laquelle il a plaidé, et qui l’a emporté…

Pour en savoir plus, une émission de radio intitulée l’effondrement de la société industrielle propose une interview d’environ une heure de Pablo Servigne.

L’effondrement apparaît aujourd’hui comme inévitable. La collapsologie permettra de l’anticiper au mieux afin d’en limiter les dégâts.