si, c'est vrai !

et si l'on refondait le droit du travail

Dans un article intitulé et si l’on refondait le droit du travail…, Alain Supiot revient sur les réformes souhaitées et entreprises par l’actuel gouvernement.

Il critique la volonté de mettre le travail des êtres humains au service du travail des ordinateurs alors que c’est l’ordinateur qui est censé être au service des êtres humains.

Cette quête chimérique d’une programmation des êtres humains les coupe de l’expérience de la réalité ; elle explique la montée en puissance des risques pour la santé mentale et l’augmentation des fraudes, identiques à celles jadis suscitées par la planification soviétique lorsque, pour assurer la quantité de bottes requise par le Gosplan sans disposer du cuir nécessaire, on ne fabriquait que des bottes de taille enfantine. Sommé d’atteindre des objectifs inatteignables, un travailleur n’a en effet guère d’autre choix que de sombrer dans la dépression ou de donner le change en satisfaisant à des indicateurs de performance déconnectés de la réalité.

De la même manière, alors que le marché devait obéir aux lois, c’est maintenant les lois qui sont en train d’être rénovées pour obéir aux marchés.

Le propre du néolibéralisme — ce qui le distingue du libéralisme à l’ancienne — consiste à traiter le droit en général et le droit du travail en particulier comme un produit législatif en compétition sur un marché international des normes, où la seule loi qui vaille est la course au moins-disant social, fiscal et écologique. À l’État de droit (rule of law) est ainsi substitué le marché du droit (law shopping), en sorte que le droit se trouve placé sous l’égide d’un calcul d’utilité, au lieu que le calcul économique soit placé sous l’égide du droit. Pareille métamorphose s’avère lourde de conséquences et éclaire l’obésité et l’instabilité de nos codes, au premier rang desquels le code fiscal et celui du travail.

Le préambule de la constitution de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) souhaite explicitement éviter le dumping social (la course au moins disant social). C’est pourtant tout l’inverse qui est en train de se préparer dans les législations du travail et dans les accords internationaux.

Au niveau international, il faudrait tirer toutes les conséquences du préambule de la Constitution de l’OIT, selon lequel « la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays ». Et aussi tenir compte du fait que la division internationale du travail et l’empreinte écologique sur la planète sont indissociables. Les normes sociales et environnementales doivent donc être dotées d’une force juridique équivalente aux normes du commerce mondial, ce qui suppose l’institution d’une instance internationale de règlement des litiges, ayant le pouvoir d’autoriser les pays qui les respectent à fermer leur marché aux produits fabriqués dans des conditions qui ne les respectent pas. Le recours à de nouvelles formes d’action collective, dont le boycott de ces produits, serait alors reconnu comme une liberté inhérente à la liberté syndicale et d’association. L’Union européenne pourrait reconquérir sa légitimité politique si elle se plaçait à l’avant-garde d’une telle réforme, et renouait ainsi avec l’objectif d’« égalisation dans le progrès » figurant encore dans ses traités, au lieu de s’employer à attiser la course au moins-disant social et fiscal entre les États membres, comme le fait sa Cour de justice.

Les conditions de travail sont en train de se dégrader pour le plus grand nombre des travailleurs. Mais ce n’est ni un hasard, ni une fatalité. C’est uniquement la volonté de quelques-uns sur tous les autres.