si, c'est vrai !

climat et effondrement

Dans un article intitulé climat et effondrement : seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire, l’auteur nous invite à éviter le piège d’un romantisme de l’effondrement et à anticiper la manière dont notre société pourrait espérer gérer un effondrement de civilisation.

Plutôt que de subir un effondrement non maîtrisé, il nous invite à le provoquer afin de tenter d’en maîtriser les conséquences.

Une définition plus intéressante, autrement plus probable au 21e siècle que l’extinction de l’espèce humaine, est celle donnée par Yves Cochet et l’Institut Momentum : l’effondrement comme « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie…) ne sont plus fournis – à un coût raisonnable – à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Comme la violence de la crise grecque nous l’indique, ce type d’effondrement peut toucher des pays entiers, y compris en Europe. Étant donné l’interconnexion de l’économie mondiale, on peut étendre l’hypothèse à celle de l’effondrement d’un système : la civilisation du capitalisme industriel et sa culture consumériste, civilisation aujourd’hui globalisée même si les disparités sociales et territoriales restent majeures.

Après l’effacement de tant de systèmes politiques au cours des 50 derniers siècles et alors que de toutes parts nous parviennent des rapports sur les bouleversements qui affectent la Terre, n’est-il pas téméraire de considérer le capitalisme industriel et consumériste comme immortel ? Étant donné qu’il est la cause du dérèglement planétaire, il me semble plutôt intéressant de penser son effondrement, voire même de le préparer !

En multipliant par exemple les actes de non-coopération avec le modèle consumériste, en résistant aux dérives fascisantes ou aux oppressions que la crise écologique ne manque pas de favoriser, en s’opposant aux projets inutiles et à la poursuite de l’extraction des énergie fossiles comme des minerais, en renforçant les alternatives qui émergent. A l’image du « dernier homme » post-apocalyptique et individualiste hollywoodien, je préfère plutôt l’image des collectifs qui participent à l’effondrement d’un vieux monde productiviste : ceux qui bloquent les mines et font chuter le cours des actions des multinationales, ceux qui réinventent des communs – du mouvement de la transition aux zones à défendre. Une autre fin du monde est possible !

Si on ne peut éviter la fin du monde, autant choisir la fin du monde qu’on souhaite !

Un effondrement civilisationnel n’affectera pas les uns et les autres de la même manière.

[…] les impacts des catastrophes écologiques et climatiques, dans leurs causes comme dans leurs conséquences, ne sont jamais séparés des formes de domination et d’exploitation. Du coup, on ne peut pas penser politiquement l’effondrement en confrontant simplement une courbe de la population mondiale à une courbe de disponibilité des ressources ou de dépassement de limites planétaires. Ces courbes ne disent rien sur ce qui se passent au plan géopolitique, sur la manière dont évoluent les rapports sociaux et politiques, sur qui sont les gagnants et les perdants de ces bouleversements. Les plus pauvres peuvent perdre encore plus, et les 1 % des plus riches s’en sortir très correctement.

Un scénario catastrophe serait celui d’une Terre déréglée, moins habitable en bien des régions, avec des centaines de millions de réfugiés ruinés et obligés de quitter leur foyer, des sous-continents entiers livrés au chaos des guerres civiles et de l’extraction des ressources, et des puissances mondiales ultra-militarisées. Ces régimes autoritaires s’affronteraient entre eux pour le contrôle des ressources de la Terre, et feraient en interne régner une dictature au nom de l’urgence écologique et de l’exclusion des miséreux étrangers se pressant à leurs portes.

Au nom de l’urgence climatique et face à des dégradations rapides de l’habitabilité de la Terre, ces régimes aboliront les frontières morales, sociales : on nous proposera l’asservissement et la soumission en échange de la survie. Le contrôle de nos données personnelles orientera nos comportements. Cet ordre totalitaire se présentera comme écolo et rationnera l’usage des ressources, mais maintiendra des inégalités énormes entre une plèbe à la vie diminuée et une élite qui continuera à surconsommer.

Certains seront plus touchés que d’autres, et ce sont probablement ceux qui sont aujourd’hui les plus exposés, les plus précaires, les plus fragiles.

Si on regarde, à court terme, comment le dérèglement planétaire redistribue la donne, il semble que pour un certain nombre d’années encore, les 5 % à 10 % les plus aisés du monde, habitant principalement au sein des pays de l’OCDE ainsi que la Chine et la Russie, ne s’aperçoivent pas encore véritablement de la gravité de la situation : ils sont moins fragilisés, vivent dans des États relativement stables qui érigent des barrières contre les migrants, ont accès à un standing de vie qui nécessite un échange écologique inégal avec le reste de la planète, où se trouve l’essentiel des ateliers de production et des sites d’extraction. Pour eux, « tout va bien » tant qu’ils continuent à bénéficier d’un système politique et économique qui externalise la violence vers les autres territoires, populations et espèces du monde.

De l’autre côté, la moitié la plus défavorisée de l’humanité, pourrait se trouver en danger vital. Cette moitié n’a rien reçu des richesses générées en 2017 dans le monde tandis que 82 % de celles-ci ont profité aux 1 % les plus riches du monde. Alors que les uns s’achètent des canots de sauvetage, les autres triment dans les ateliers du monde dans des conditions de pollution extrême, ou sur des terres de moins en moins fertiles. Entre 200 millions et un milliard d’humains pourraient devenir des réfugiés à l’horizon 2050. Il faut se rendre compte de la violence du changement climatique qui s’ajoute et se combine aux violences sociales subies par ces « damnés de la terre ».

Nous vivons certes tous sur la même planète, mais nous n’avons pas tous le même destin. Certains groupes sociaux n’ont aucun intérêt à ce que cela change.

Quand on voit l’écart entre les plus riches et les milliards de personnes les plus affectées par les dégâts climatiques, ou les écarts des coûts et bénéfices du réchauffement selon les régions et les États, force est de constater que le discours qui consiste à clamer « Nous sommes tous concernés, nous devons agir ensemble », ne tient pas la route. Il y aura des gagnants et des perdants du réchauffement climatique. Certains pays – comme la Russie et les monarchies pétrolières du Golfe – et certains groupes sociaux n’ont aucun intérêt à ce que cela change. Non, nous ne sommes pas tous dans le même bateau, ou alors pas dans la même classe ni avec le même accès au restaurant et aux canots.

Et dans l’affaire, la planète est neutre : ce n’est pas elle qui limitera notre folie consumériste.

Nous ne pouvons donc plus compter sur ces limites et sur une pénurie de ressources – le fameux « pic » pétrolier – pour nous arrêter à temps. Seul le volontarisme politique, aiguillonné par une insurrection des sociétés civiles, peut permettre d’éviter le pire.

Nous connaissons l’existence de réserves fossiles sous nos pieds, que pourtant nous devons absolument apprendre à ne pas extraire.

Comme les initiatives individuelles ne suffiront pas à changer de modèle de société, il faudra nécessairement en passer par le politique.

En politique, il est temps que le sérieux change de camp. Des leaders politiques, des institutions ou des entreprises ne peuvent plus être considérés comme sérieux s’il n’ont pas des propositions claires, pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et l’empreinte écologique d’ici cinq ans. S’ils placent la compétitivité, la croissance et le business avant, ils devront laisser la place à des politiques plus à même de préserver nos vies, nos valeurs de solidarité, et un état habitable du monde.

Mais qu’est-ce qui pourrait amener les politiques de l’ancien monde à laisser place aux politiques d’un monde nouveau ? Une insurrection des sociétés civiles ?