si, c'est vrai !

la langue d'autrefois est bien moins sexiste qu'aujourd'hui

A l’heure où le langage épicène, également connu sous le nom d’écriture inclusive, fait débat dans les médias français et sur les réseaux sociaux, il suscite une opposition de longue date de l’académie française et de vives critiques d’une frange conservatrice de la population française.

Eliane Viennot est professeuse de littérature, historienne et féministe. Dans un article intitulé la langue d’autrefois est bien moins sexiste qu’aujourd’hui, elle montre que les barbarismes inventés par le langage épicène ne sont en aucun cas des néologismes, mais en réalité des mots anciens qu’on ne fait que ressortir de l’oubli.

Nous y répertorions les mots qui ont disparu, tels que « autrice » ou « professeuse », avec les références des textes dans lesquels nous les avons trouvés, pour prouver que ces mots ne sont pas des néologismes… Ils figurent dans des textes du XIV, XVI ou XVIIème siècle ! Le fait de donner les références exactes permet aux gens de voir que nous ne racontons pas des salades, et d’aller chercher par eux-mêmes si la question les intéresse.

Dans notre rubrique, nous avons aussi mis des témoignages de bagarres entre intellectuel.les. Car bien des mots n’ont pas été oubliés : on leur a fait la guerre. Des grammairiens précisent dans leurs ouvrages qu’il ne faut pas les utiliser ; et ils ne les inscrivent pas dans les dictionnaires…

Le langage a été orienté en France avec l’objectif de masculiniser certains termes et d’en féminiser d’autres. La société a délimité la place des hommes et celle des femmes, et le langage était un des outils pour mener à bien cette polarisation de la société.

[…] je me suis rendue compte que l’Europe a connu une véritable guerre intellectuelle sur la place des femmes dans notre société… guerre dont la France a été l’initiatrice. Cette « querelle des femmes » a commencé à monter vers les XIII-XIVème siècles, après la création des universités (strictement masculines). Cela a engendré des débats sur la place des femmes dans l’éducation, la famille, la politique etc. Mais on ne se dispute pas sur la langue avant le début du XVIIème siècle. Et ensuite cette querelle s’envenime, parce que la masculinisation de la langue s’accentue.

Jusqu’au 17ième siècle, la lecture et l’écriture étaient peu répandues et il fallait que les distinctions de genre s’entendent. Ainsi, autrice se distingue mieux de auteur que auteure.

La langue d’autrefois est bien moins sexiste qu’aujourd’hui. Jusqu’au XVIIème siècle, les femmes ne sont jamais nommées au masculin. Alors qu’aujourd’hui, cela nous paraît normal de dire par exemple qu’une femme est « directeur » ou « entrepreneur ». Tout le monde en aurait ri, à l’époque ! Dans les langues romanes, on parle des femmes au féminin et des hommes au masculin, grâce à des finales de mots qui s’entendent. Tous les féminins s’entendaient en français jusqu’au XVIIème, parce que les gens avaient besoin de l’entendre.

Les anciens types d’accord étaient également moins sexistes :

  • accord de proximité, on accorde l’adjectif avec le dernier nom énoncé ou écrit
  • accord de logique, on accord l’adjectif avec le nom énoncé qui semble le plus important (en nombre ou en symbolique)

Ces règles sont beaucoup plus intuitives que la règle basique aujourd’hui enseignée à l’école : “le masculin l’emporte sur le féminin”.

Ceci dit, ces règles sont décidées en haut-lieu : chez les grands auteurs, les encyclopédistes, les académiciens… Jusqu’au début du 20ième siècle, elles ne se propagent guère dans la société et les usages ancestraux demeurent.

Mais jusqu’au début du XXème siècle, il n’y a pas d’institution capable de mettre tout le monde au garde à vous, puisqu’il n’y a pas d’école primaire obligatoire. Donc ce que peuvent dire ceux qui émettent les normes, comme les académiciens, n’a pas forcément une grande portée. Les modes d’apprentissages sont très divers. Les anciens usages se perpétuent donc très longtemps – comme les langues régionales.

Les choses changent avec la démocratisation de l’écrit et la montée en puissance de l’académie française. La pression pour l’adoption des nouveaux usages augmente et si les anciens usages n’ont pas totalement disparu, ils deviennent des figures de style réservées aux grands auteurs.

Un exemple marquant de cette lutte de l’académie française pour la domination du masculin se matérialise dans l’adjonction d’un nouveau sens au mot Homme (avec un grand h) qui recouvre un groupe composé de tous les hommes et de toutes les femmes. Cette généralisation apporte de la confusion sur le sens des mots. Si le mot homme peut recouvrir plusieurs sens, le mot femme est également polysémique. Dès lors, on ne sait plus trop si la femme est l’homologue de l’homme ou si elle est l’homologue de l’époux

Mais l’Académie a décidé, à la fin du XVIIème siècle, que « homme » pouvait servir pour parler de l’humanité toute entière, autrement dit que les femmes sont des hommes. Cette conclusion absurde, ils ne l’ont jamais tirée : les académiciens voulaient juste grandir « l’homme » ! Mais elle est inévitable en logique : si homme = humanité, alors homme = femme.

Paradoxalement, cette assimilation de 3 notions : humain, homme, femme a probablement servi les luttes féministes contre la domination masculine et pour l’égalité des sexes, se retournant ainsi contre les objectifs de l’académie française et ses principes ségrégationnistes.

La masculinisation de la langue est une construction délibérée, que nous dé-construisons aujourd’hui. La domination du masculin sur le féminin était déjà présente, nous en avons hérité du latin et du grec, puisque les hommes ont toujours dominé la parole publique et l’écriture, mais elle était beaucoup moins prégnante, et moins absurde.

Le langage a toujours été un outil d’influence - ce qui ne se nomme pas n’existe pas - il a par conséquent été utilisé pour modifier l’équilibre entre le masculin et le féminin. Il y a quelques siècles, la langue française était moins sexiste qu’aujourd’hui, et elle a délibérément été rendue plus sexiste par des hommes académiciens.

Si la langue théorique des livres de grammaire est importante en ce qu’elle garantie son utilité comme outil de communication partagé, la langue pratique de la rue a toute son importance également car une langue n’est vivante que tant qu’elle est parlée, tant qu’elle évolue.