si, c'est vrai !

Walmart, cheval de Troie socialiste ?

Dans un article intitulé Walmart, cheval de Troie socialiste ?, les auteurs estiment que le mode de fonctionnement de l’entreprise de grande distribution Walmart présente des caractéristiques d’un mode de production planifié.

La planification est souvent décrite comme une caractéristique du communisme soviétique et décriée par le capitalisme comme étant une des raisons expliquant la chute de l’URSS.

Dans Le Calcul économique en régime socialiste, publié en 1920, l’économiste autrichien Ludwig von Mises interroge : dès lors qu’une communauté dépasse la taille de la cellule familiale primitive, les dispositifs de planification socialiste sont-ils capables de déterminer quoi produire, dans quelle quantité et quand ? Selon Mises, non. S’aventurer dans cette voie conduit nécessairement aux pires vicissitudes sociales et économiques : pénuries, famines, frustrations et chaos.

Pour Mises, toutes les informations nécessaires à la production économique sont déjà disponibles, ailleurs. À travers un mécanisme très simple : le prix de marché. Celui-ci refléterait à la fois l’état de l’offre et de la demande pour chaque ressource, le coût des intrants, l’évolution des goûts des acheteurs… « Le socialisme fonctionne en théorie, mais pas dans la vraie vie », aiment à répéter les conservateurs. Selon Mises, même comme simple construction intellectuelle, la planification s’avérerait dysfonctionnelle.

Le bon sens invite à considérer comme peu fiable une théorie incapable de passer l’étape de sa mise en œuvre pratique. Que faut-il cependant penser d’un système dont la théorie a prévu l’échec, mais qui fonctionne à merveille ? C’est un peu ce qu’offre Walmart : l’une des plus étonnantes démonstrations que la planification, dont Mises a tenté de démontrer l’impossibilité, peut s’avérer d’une remarquable efficacité.

Le modèle économique de l’entreprise Walmart est souvent critiquée, mais l’aspect analysé dans cet article concerne son organisation logistique.

Le géant américain offre ainsi un modèle d’économie planifiée dont l’échelle rivalise avec celle de l’URSS au cœur de la guerre froide : en 1970, le produit intérieur brut (PIB) soviétique atteignait environ 800 milliards de dollars (730 milliards d’euros) actuels, contre 485 milliards pour Walmart en 2017. Si Mises et ses amis avaient raison, le géant américain n’existerait pas.

L’entreprise Walmart a très tôt misé sur la technologie pour organiser sa chaîne logistique. Cela permet de faire remonter très rapidement les informations depuis les consommateurs vers les fournisseurs. Ces derniers disposent donc d’une information complète leur permettant d’organiser, de planifier leur production.

Walmart a par exemple été la première entreprise à utiliser des codes-barres universels pour toutes ses sociétés. Désormais, sa gigantesque base de données Retail Link, connectée par satellite, met les prévisions de demande à disposition des fournisseurs et offre à tous les acteurs un accès à des informations en temps réel sur les ventes, compilées par les caisses enregistreuses. Tout cela suggère que, grâce au progrès technologique, une planification économique à grande échelle est bien à l’œuvre chez Walmart, alors même que Mises estimait la chose impossible.

D’autres entreprises ont fait le choix opposé, en mettant en concurrence des silots internes à l’entreprise, en diminuant le partage d’information, et donc la capacité à planifier.

A contrario, l’un des principaux concurrents de Walmart, l’entreprise Sears, Roebuck and Company, fondée il y a cent trente ans, s’est effondré après avoir misé sur une approche radicalement opposée. La Sears Holdings Corporation a enregistré des pertes d’environ 2 milliards de dollars en 2016, soit un total de 10,4 milliards depuis 2011, la dernière année à s’être conclue par un résultat positif. Cette débâcle s’explique par une décision : celle du président-directeur général Edward Lampert de désagréger les divisions de la société dans l’optique de les mettre en concurrence — bref, de créer un marché interne. D’un point de vue capitaliste, l’opération semblait sensée. Les chefs d’entreprise ne cessent-ils pas de répéter que le marché est la source de la richesse dans la société moderne ?

M. Lampert restructure donc les opérations et divise le groupe en trente, puis quarante unités invitées à entrer en concurrence les unes avec les autres. Au lieu de coopérer, les branches […] doivent soudain fonctionner de façon autonome, avec leur propre président, leur propre conseil d’administration et leurs propres comptes de résultat.

Le marché intérieur s’opacifie du fait de la rétention d’information de chaque unité, qui ne coopère plus avec les autres.

Alors que la courbe des profits plonge, la concurrence s’accentue au sein de l’entreprise, chacun tentant de capter le peu de liquidités encore disponibles. Dans le même temps, la rentabilité de chaque opération se trouve réduite par la duplication de nombreuses fonctions managériales, puisque aucune charge structurelle n’est partagée.

La concurrence entre les unités incite celles-ci à le plus communiquer, à ne plus coopérer. Les processus d’optimisation aboutissent donc à des optimisations locales aux dépens d’optimisation globale.

Au bout du compte, les différentes unités prennent le large, ne voyant plus aucun intérêt à l’intégration au sein d’un même groupe. Certaines quittent le navire, d’autres s’effondrent, précipitant un constat : le pari concurrentiel de M. Lampert a échoué, son modèle paralysant toute forme de coopération.

Les unités n’étant plus liées entre-elles, la guerre économique fait rage et les unités s’éloignent les unes des autres.

Autrement dit, la planification de Walmart incite à une meilleure intégration tandis que le marché libre incite à la désintégration.