La proposition de grève générale ne prend pas pour une bonne raison : le rapport salarié au travail a changé et le rapport de forces a lui aussi basculé. En faveur du “patronat”, comme on dit ? Non, il faut être plus précis, en faveur du capital et plus particulièrement de la finance spéculative. Ce point de bascule s’est produit progressivement depuis 1980 mais il s’est accéléré depuis les années 2010 […]
Ce capitalisme financier veut l’écrasement des avantages acquis par le mouvement ouvrier et tente de faire disparaître :
Il préconise donc de réorienter l’action en direction des effets de réputation financière sur les firmes, leur effondrement réputationnel étant désormais leur principale faiblesse. Ces actions doivent être imprévisibles afin de générer de l’incertitude qui viendra amplifier l’effet de réputation, en nécessitant de protéger les points de visibilité (boutiques, agences) par des gardiens de l’ordre.
Cette ré-orientation consiste à prendre acte que le nouveau pouvoir est maintenant localisé dans les multinationale, et non plus dans les institutions politiques.
]]>On qualifie d’illibérale une politique qui est opposée aux principaux fondements du libéralisme politique : la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, l’État de droit, la liberté de la presse, la liberté académique et les libertés individuelles. L’autoritarisme illibéral désigne un régime fondé sur l’élection, mais qui prétend ensuite détenir le monopole de la volonté générale du peuple et ignore de ce fait les limites constitutionnelles à son pouvoir, dépossédant ainsi les citoyens de leurs droits et libertés en exigeant d’eux un consentement à une vision unique du monde. Il s’oppose à l’idéal démocratique, qui suppose un pluralisme de rationalités en débat dans un espace public, et des institutions permettant la réalisation effective de la souveraineté du dèmos.
Pour la sauvegarde de la démocratie, les citoyens doivent se muer en gardiens des institutions :
]]>Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.
Albert Camus
Cette conférence est organisée par EDF dans le cadre d’un cycle de conférences intitulé “ECO2” qui vise à “animer le débat intellectuel sur la notion de croissance verte autour de laquelle aucun consensus scientifique n’existe à ce jour”. Plutôt qu’une conférence, c’est en fait un jeu de questions-réponses animé par Frédérique Bedos, journaliste et fondatrice de l’ONG d’information “le projet Imagine”. Les invités sont Thomas-Olivier Léautier - chef économiste d’EDF - qui participe à toutes les conférences du cycle “ECO2” (car c’est EDF qui finance ce cycle de conférences) et Jean-Marc Jancovici - fondateur de Carbone 4 - oracle et cassandre du changement climatique.
La conférence donne l’impression que Thomas-Olivier Léautier et Jean-Marc Jancovici ne parlent pas de la même chose. Quand le premier parle d’un horizon à 6 mois, ou d’un futur technologique imaginaire, le second apporte des faits, des projections chiffrées et précises. C’est comme si les deux discours, qui ne parlent pas de la même chose et qui parfois s’oppose, étaient juxtaposés sans que jamais l’intervieweuse ne fasse apparaître les incohérences, les oppositions et les conséquences qui en découlent.
Evidemment, comme Thomas-Olivier Léautier est “chez lui”, il n’est pas challengé lors de cette conférence, la conférence reste dans le domaine du politiquement correct. Par ailleurs, malgré les oppositions des discours, Thomas-Olivier Léautier est probablement heureux d’être confronté à Jean-marc Jancovici car ce dernier estime que le nucléaire fait partie de la solution d’un futur mix-énergétique. Il ne faut pour autant pas résumer le propos de Jean-Marc Jancovici à sa position sur le nucléaire. Il aurait été appréciable que le reste de son positionnement puisse être opposé aux propos parfois fantaisistes ou déconnectés de la réalité de Thomas-Olivier Léautier.
Il faut 50 à 100 fois plus de métal et 1000 fois plus de foncier pour faire un kWh d’énergie solaire que pour faire 1 kWh d’énergie classique (charbon, gaz, nucléaire)
La récession structurelle a déjà commencée depuis 2006 (selon Jean-Marc Jancovici) ou en 2008 (selon l’AIE), date du pic de production du pétrole conventionnel. La quantité de pétrole disponible pour les européens à commencé à décroitre en 2007. Depuis, l’augmentation du PIB représente de l’inflation d’actif (un même bien coûte plus cher qu’avant, c’est de la simple inflation, mais pas une augmentation de la richesse réelle). C’est de la fausse croissance. Il n’est donc pas besoin de vendre la décroissance aux Français car elle est en réalité déjà là. En outre, la décroissance ne pose problème aux ménages que si les revenus baissent mais que les charges ne baissent pas. Si les deux baissent de manière coordonnée, la décroissance est tout à fait gérable au niveau des ménages.
Et aujourd’hui, le système ne sait pas gérer la baisse. Le problème n’est donc pas au niveau individuel, ou d’un ménage, mais à un niveau plus global, systémique.
Thomas-Olivier Léautier ne veut pas aller vers la décroissance. Le chef économiste d’EDF se masque alors les yeux (littéralement, avec son masque) quand Jean-Marc Jancovici explique qu’on n’échappera pas à la décroissance, malgré le volontarisme affiché de Thomas-Olivier Léantier. Cette anecdote rigolote est la note humoristique symbolique de la conférence.
Jean-Marc Jancovici indique qu’on peut garder le PIB comme indicateur économique, à la condition de ne plus exiger qu’il augmente indéfiniment…
En conclusion, cette conférence laisse une impression mitigée dans un exercice où deux personnes exposent chacune leur point de vue plutôt que de débattre et de confronter leurs idées. Olivier-Thomas Léautier semble optimiste et dogmatique, Jean-Marc Jancovici semble pessimiste et réaliste.
]]>Le Président de la République s’est engagé à ce que ces propositions législatives et réglementaires soient soumises “sans filtre” soit à référendum, soit au vote du parlement, soit à application réglementaire directe.
Le documentaire intitulé convention citoyenne - démocratie en construction raconte la vie de cette convention citoyenne pour le climat, ainsi celle de ses membres.
Un moment clé du documentaire se situe à la 28ième minute, quand le président de la république vient faire un discours au sein de cette convention citoyenne.
J’vous garantie sur le sans-filtre. M’enfin le sans filtre il voudra pas dire “j’me défausse”. A la fin, ce que je décide de mettre sans filtre, je le décide. Voilà. Donc euh vous n’êtes pas là pour être utilisés, vous êtes là pour créer de l’intelligence collective et m’aider in fine à décider, et décider ensemble des bonnes choses. Donc je prends mes responsabilités.
C’est probablement à ce moment, que la présidence de la république, constatant la radicalité des idées circulant au sein de la convention citoyenne pour le climat, a décidé de reprendre le contrôle, et de rétro-pédaler vis-à-vis de l’engagement qu’elle avait pris auprès de la nation.
Quand on parle d’intelligence collective, il existe une problématique au-delà de l’intelligence mise en place sur le fond. Cette problématique est celle du pouvoir : qui décide de ce qu’on fait de cette intelligence collective, qui oriente la réflexion, qui pose les questions, qui décide des réponses qu’on garde, et celles qu’on jette ?
]]>Mais il ne faut cependant pas nier que des conspirations existent et ont existé. C’est pourquoi l’hypothèse d’une conspiration doit être envisagée et dénoncée lorsqu’elle est finalement avérée.
On peut citer en exemple la conspiration des big tobacco qui se réunissent en décembre 1953 pour tenter de disculper le tabac comme cause du cancer du poumon. Le documentaire intitulé la fabrique de l’ignorance indique à la douzième minute qu’on sait maintenant que les 7 grandes manufactures qui constituent l’oligopole qu’on appelle big tobacco se sont réunies à l’hôtel Plazza en décembre 1953. A la suite de cette réunion, ils publient une déclaration publique qui annonce qu’ils engagent des recherches scientifiques aider la recherche sur le tabac et la santé.
Mais leur véritable but est tout autre : financer de la recherche de diversion, multiplier les causes possibles afin de pouvoir invoquer l’argument ultime : “on ne peut pas affirmer avec certitude que le tabac cause des cancers du poumon car il existe de nombreuses autres causes possibles”.
Ce nouveau principe qui consiste à utiliser la méthode scientifique contre la science établie est au final une méthode de fabrique de l’ignorance.
]]>Le projet du Brexit n’est pas tant inspiré des idées néolibérales à la base de la construction européenne que de l’idéologie libertarienne. Le libertarianisme peut être défini comme une doctrine économique qui vise à limiter toute forme d’intervention étatique en dehors de la garantie de la propriété privée contre le collectivisme et l’étatisme.
Au-delà de la sortie de l’Union Européenne, c’est l’idée même de démocratie qui est menacée par les idées et les principes qui sous-tendent le Brexit.
Une classe que rien ne menace
Pour gouverner, les promoteurs de la seconde financiarisation semblent n’avoir plus besoin de la démocratie. Ils contredisent ainsi l’idée marxiste selon laquelle la république démocratique serait la forme de gouvernement la plus adaptée à la domination bourgeoise. Cela tient notamment à ce que ces nouveaux dominants ne sont pas menacés par une autre élite concurrente dans l’exercice du pouvoir. Au tournant du XIXe siècle, il était vital pour la bourgeoisie montante de se doter d’une légitimité autre que celle du sang face aux intérêts des groupes de féodaux et d’aristocrates, encore très populaires dans une partie des campagnes. La bourgeoisie avait à lutter contre la reconstitution possible de la coalition d’intérêts entre l’aristocratie terrienne et les classes paysannes, qui avait dominé durant presque mille ans. Dans ce contexte, la réinvention démocratique appuyée sur l’idée d’un peuple souverain soutenait la révolution bourgeoise. Mais, dans l’immédiat, la bourgeoisie n’est pas concurrencée par une autre classe candidate au pouvoir. Et, en l’absence de menace monarchique ou socialiste, a-t-elle encore intérêt à la démocratie ?
La vigilance est de mise, car la révolution libertarienne n’est pas terminée.
]]>Parmi ces 10 principes, 4 ont davantage retenu mon attention :
Des principes à garder à l’esprit lors de la conception des objets de demain.
]]>Le sujet est traité sérieusement et de manière plus approfondie qu’à l’acoutumée. Par exemple, le chapitre “Combien consomme une box internet ?” expose les différentes manières de calculer le coût énergétique : de 0,23 microjoule à 9,9 microjoule par bit, soit un facteur 43 entre la valeur minimale et la valeur maximale. Ces variations dans la méthodologie de calcul amènent à une différence énorme. Il est donc possible de manipuler les chiffres pour leur faire dire ce qu’on souhaite…
Cette variabilité est relative à des notions de coût fixe et de coût variable. Notions qu’on retrouve également dans les réseaux : un réseau allumé et non utilisé coûte quand même en alimentation électrique, et donc en énergie. L’utilisation optimale d’un équipement électrique est atteinte quand l’équipement électrique est utilisé au maximum de ses capacités.
Au-delà du l’utilisation des réseaux, la fabrication du matériel électronique qui génère énormément de gaz à effet de serre.
Sur les tablettes présentées, on note qu’entre 6 et 14 % des émissions de gaz à effet de serre concernent la phase d’utilisation, contre 79 à 88 % pour la phase de fabrication. Ainsi, l’impact de la fabrication est tel que faire durer les équipements le plus longtemps possible est primordial.
Le principal levier dont dispose un utilisateur pour réduire l’impact lié à cet objet connecté consiste donc à allonger sa durée de vie. Même si la génération suivante de l’objet présente une meilleure efficacité énergétique en phase d’utilisation, l’impact environnemental de sa phase de fabrication restant largement prépondérant, il est préférable de garder l’ancien modèle plutôt que d’acquérir le nouveau.
Un autre exemple pertinent concerne le domaine des objets connecté, de l’IoT (Internet of Things) : pour que l’impact environnemental d’un thermostat connecté soit réparti à 50 % pendant sa fabrication et à 50 % pendant son utilisation, il faudrait que la phase d’utilisation dure 55 ans. Connaissez-vous un seul objet connecté qui soit conçu pour durer plusieurs dizaines d’années ?
De 2010 à 2015, le projet de recherche international GreenTouch, qui mêlait instituts académiques et groupes industriels, a démontré qu’il était possible de construire une infrastructure des réseaux de l’internet mondial qui réduirait de 98 % la consommation d’énergie en 2020 par rapport à celle de 2010, et ce en tenant compte de l’explosion du trafic et pour une qualité de service équivalente.
Quelle marge d’optimisation ambitieuse pour les réseaux de communication !
Ce qui est vrai pour les réseaux de communication est également vrai pour les datacenters : on devrait pouvoir éteindre très facilement nos serveurs dès qu’on ne s’en sert pas.
Avec notre collègue Issam Rais, nous avons en effet montré en 2018 qu’il suffit qu’un serveur ne soit pas utilisé pendant trois minutes pour qu’il soit intéressant de l’éteindre.
Autant il est plutôt simple de mettre en pause des conteneurs (mais alors les machines physiques de l’infrastructure restent allumées, elles) autant je ne connais pas grand monde qui arrête les serveurs physiques ou les VMs quand elles ne sont plus utilisées, même pour quelques minutes (et a minima pendant les nuits et les fins de semaine).
Les accords de Paris sur le climat nous demandent de réduire notre empreinte carbone, et on pense souvent qu’Internet va être la solution. Mais le numérique n’échappe pas à ces accords. Il est indispensable de prendre en compte ses impacts environnementaux, de les maîtriser et les réduire. Et chacun de nous peut s’engager dès maintenant sur cette voie en conjuguant chez soi efficacité énergétique, sobriété numérique et usage raisonné.
La conclusion est éloquente et entre en résonance avec les engagements de plusieurs opérateurs télécom. Les pistes d’optimisation sont nombreuses, reste à voir si les moyens qu’ils y mettront seront à la hauteur des enjeux.
Nos sociétés modernes auront-elles également le courage de renoncer à certains projets très énergivores ? L’intelligence artificielle en est un exemple flagrant : entraîner un réseau neuronal est extrêmement énergivore. Serait-on prêt à renoncer à entraîner un réseau neuronal si au final le gain s’avère être trop faible par rapport au coût énergétique ?
]]>Mais au lieu de décliner cette empreinte carbone par poste, par type d’usage, il chercher à décliner cette empreinte carbone en fonction des niveau de la pyramide de Maslow qui est une hiérarchisation pyramidale des besoins humains.
Croiser les disciplines de sociologie et écologie pour rapprocher l’empreinte carbone de la pyramide de Maslow permet de regarder nos modes de consommation sous la forme d’un “marqueur social”, avec l’espoir d’une “prise de conscience et de recul” dont l’objectif serait une “remise en cause de nos marqueurs de hiérarchie sociale”.
]]>En 2018, le mouvement des gilets jaunes réclame l’abrogation du CICE, car 20 milliards d’euros par an partent en fumée sans effet notable sur l’emploi. Il y a de quoi écoeurer les gens à qui l’on demande des comptes sur l’usage de leurs aides sociales de quelques centaines d’euros. Hélas en vain : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale de l’automne 2018 (voté pendant le mouvement des gilets jaunes donc) comporte une “transformation” du CICE en exonération pérenne de cotisations sociales patronales. “Le CICE n’existe plus”, disent alors les macronistes en réponse aux gilets jaunes. Sauf que le principe est exactement le même : 20 milliards d’euros sont distribués chaque année aux entreprises privées, non plus sous forme de crédit d’impôt mais d’exonérations de cotisations sociales. Ce qui, dans le fond, est encore pire, car on permet aux employeurs de ne plus cotiser pour la Sécurité sociale de leurs salariés. Tout un symbole.
L’année 2019, c’est bien celle du double jackpot. Les entreprises ont touché les 20 milliards du CICE, pour la dernière fois, PLUS les 20 milliards du dispositif qui le remplace.
Le fonctionnement du CICE s’apparente bien à un pillage des finances de l’état républicain, avec l’approbation de ceux qui en sont à la tête.
France Stratégie, ancien commissariat au Plan devenu, début des années 2000, un centre d’évaluation des politiques publiques (géré et payé par le gouvernement donc), a sorti ses conclusions pour la période 2013-2013 : en cinq ans, le CICE a créé 100 000 emplois. C’est mieux que rien, non ?
Sauf que cinq ans de CICE, c’est 100 milliards d’euros. Soit entre 900 000 et 1 millions d’euros l’emploi. On aurait pu recruter des soignant.e.s, du personnel pour les EPHAD, investir dans nos écoles, nos hôpitaux – et on aurait été moins dans la merde face à l’épidémie de coronavirus, au hasard… Mais non. On a créé avec ça de l’emploi potentiellement précaire, inutile voire nocif (combien de responsables des ressources humaines et de chefs de produits marketings ?). On aurait pu créer des emplois afin de réaliser une réelle transition écologique massive. On aurait pu également sortir toute une partie des gens de la misère. On aurait pu financer une réduction du temps de travail. On aurait pu combler 25 fois le déficit annuel de la Sécu, ce fameux “trou” dont on nous rebat les oreilles pour nous dire que c’est terrible parce qu’il n’y a pas “d’argent magique” et qu’on doit donc tailler dans les effectifs et réduire les prestations sociales.
Autrement dit : l’argent est là. Il suffirait de l’orienter dans le sens de l’intérêt général…
]]>Il estime en premier lieu que l’état républicain de la troisième république est un “outil politique de la bourgeoisie capitaliste”.
En effet, l’État républicain construit sous la Troisième République, et réaffirmé après l’échec de Vichy, comme écran protecteur, outil politique de la bourgeoisie capitaliste et instrument d’intégration des organisations populaires, est en échec. Les milieux d’affaires sont contraints de sortir du bois, d’acheter tous les grands médias et de bricoler directement un exécutif et une majorité parlementaire sans autonomie ni épaisseur, en mettant leurs commis au pouvoir.
Echec après échec, cet état républicain glisse vers l’autoritarisme, du fait de sa perte de légitimité.
En une phrase : la bourgeoisie est en train de perdre son hégémonie sur le cœur de son pouvoir, le travail, et c’est pourquoi elle s’appuie de plus en plus sur des États très autoritaires. Mais la montée en puissance de la dictature peut être arrêtée si nous continuons à construire une autre pratique et d’autres institutions du travail pour ravir à la bourgeoisie son monopole sur la production.
Tout n’est pas perdu pour autant : les travailleurs peuvent reprendre le pouvoir en s’auto-organisant, loin des structures hiérarchiques qui déresponsabilisent.
Mais une reconstruction par mise du travail sur ses pieds, ceux des seuls travailleurs qui seuls doivent décider, dans toutes les entreprises et services publics, contre les directions, de son contenu concret et donc des méthodes, des collectifs, de l’investissement, de l’insertion dans la division internationale du travail.
Cette auto-organisation des travailleurs est à mon sens le nouveau front de l’action syndicale. Nous ne pouvons évidemment rien attendre du syndicalisme d’accompagnement, mais tant que le syndicalisme de transformation sociale hésitera à s’engager dans cette voie de la souveraineté sur le travail concret – et faute d’engager avec eux cette bataille, qui condamnera à la marginalité tous les alternatifs précisément soucieux, eux, de le maîtriser – il s’affaiblira.
Nous avons déjà oublié nos combats d’hier, mais notre système d’assurance maladie en est un précieux vestige : il a permis la mise en place du système de santé dont nous bénéficions encore aujourd’hui, et qu’une certaine élite tente de détruire.
Quel est le déjà-là communiste de l’assurance-maladie ? Le doublement du taux de cotisation à l’assurance maladie entre la Libération et la fin des années 1970 a permis dans les années 1960 de subventionner largement l’investissement hospitalier, de créer une fonction publique hospitalière et de conventionner les soignants libéraux, bref de produire 10 % du PIB hors de la logique capitaliste de la propriété lucrative et de ses bras armés : l’endettement pour financer l’investissement et le marché du travail. J’insiste sur le remplacement du crédit par la subvention : une avance d’argent, sur la valeur déjà créée ou par création monétaire, est nécessaire pour investir, mais il n’y a aucune raison, autre que capitaliste, qu’elle prenne la forme du crédit.
La proposition de Bernard Friot est simple et se résume en quelques paragraphes :
La proposition est la suivante. Déplaçons l’assiette des cotisations, de la masse salariale vers la valeur ajoutée, afin de poser la centralité de la socialisation salariale de la valeur tout en opérant la nécessaire solidarité entre branches à fortes et faibles valeurs ajoutées. Faisons de tous les salaires et pensions un attribut de la personne versé par le régime général de Sécurité sociale géré par les seuls travailleurs et devenu caisse des salaires : les entreprises ne paient plus leurs salariés mais cotisent, les indépendants ne se paient plus sur leur bénéfice mais cotisent, et chacun perçoit un salaire qui ne peut ni baisser ni être supprimé, fondé sur sa qualification, c’est-à-dire sur son expérience professionnelle sauf le premier niveau automatiquement attribué à toutes et à tous à 18 ans.
Portons à 1 700 euros nets, soit l’actuel salaire médian, toutes les rémunérations et pensions inférieures, et augmentons en conséquence les autres salaires tout en ramenant à 5 000 euros les salaires et pensions supérieurs à ce plafond. Cette très forte et très nécessaire augmentation des salaires supposera une toute autre affectation des produits du travail : plutôt que de gaver des actionnaires et des prêteurs, les entreprises affecteront leur valeur ajoutée à des caisses de salaire et d’investissement gérées par les travailleurs.
Car cette hausse massive des salaires n’ira pas sur le compte courant des travailleurs, elle sera de la monnaie bien sûr, mais en nature et non pas en espèces, comme pour les soins. Les caisses de salaires abonderont chaque mois notre carte Vitale de plusieurs centaines d’euros qui ne pourront être dépensés qu’auprès de professionnels conventionnés de l’alimentation, du logement, des transports de proximité, de l’énergie et de l’eau, de la culture, mais d’autres productions pourront être progressivement mises en sécurité sociale.
Et ne seront conventionnées que les entreprises qui seront la propriété d’usage de leurs salariés, et donc gérées par eux seuls, qui ne feront pas appel au marché des capitaux, qui ne se fourniront pas auprès de groupes capitalistes ni ne leur vendront leur production, qui produiront selon des normes et à des prix décidés par délibération collective de la convention. Ces entreprises alternatives, ainsi soutenues par la solvabilisation des usagers, affecteront leur valeur ajoutée à la caisse des salaires et aux caisses d’investissement qui verseront un salaire à la qualification personnelle à leurs travailleurs et qui subventionneront leurs investissements. Seront ainsi assumés les deux éléments-clés de la révolution communiste de la production : la copropriété d’usage de l’outil de travail et le salaire à la personne.
À deux conditions politiques majeures, dont la construction doit devenir notre obsession collective : la détermination des travailleurs à exercer la souveraineté sur le travail sans attendre la prise du pouvoir d’État (nous retrouvons ici le nouveau front de l’action collective évoqué tout à l’heure) et la conquête du remplacement du remboursement par les entreprises de leurs emprunts d’investissement (qui ne seront pas honorés, s’endetter pour investir étant absolument illégitime) par une cotisation de sécurité sociale des productions qui soit d’une taille d’emblée suffisante.
Le montant du salaire inscrit sur la carte Vitale devra être tel qu’au moins le tiers de la consommation dans les domaines mis en sécurité sociale échappe d’emblée au capital : les entreprises alternatives seront considérablement soutenues, les entreprises capitalistes seront mises en grande difficulté et leurs salariés se mobiliseront pour en prendre la direction et changer leurs fournisseurs et leurs productions de sorte qu’elles deviennent conventionnables elles aussi.
Le régime général de la Sécurité sociale fondé en 1946 par les communistes, ainsi actualisé, généralisé et rendu, pour sa gestion, aux travailleurs, sera l’institution macro-économique nécessaire pour que le foisonnement de productions alternatives qui se multiplient dans l’ici et maintenant soit soutenu, sorti de la marginalité ou de la récupération et qu’il devienne l’aiguillon de la conquête de la souveraineté sur leur travail y compris par les travailleurs des grandes entreprises capitalistes.
Ainsi sera mise en minorité la part capitaliste de la production, mise en minorité sans laquelle aucune révolution n’est possible. Car tant qu’elle décide de la production et l’organise, la bourgeoisie capitaliste tient en otage la société et a le pouvoir de faire capoter, par exemple, toute victoire populaire aux élections, comme nous en faisons régulièrement l’amère expérience. L’acte premier de la révolution est la prise du pouvoir sur le travail, pas la prise de pouvoir sur l’État. Et nous sommes en train de le poser. C’est le déjà-là communiste.
Finalement, c’est bien une lutte des classes qui est en cours actuellement.
Je signale d’ailleurs au passage que [la lutte des classes] est la leçon historique majeure que nous lègue une classe révolutionnaire qui a réussi, la bourgeoisie. Du XIVe au XVIIe siècle elle a conquis le pouvoir économique en remplaçant la production féodale par la production capitaliste. C’est parce qu’elle s’était emparée d’une part significative de la production qu’elle a été ensuite en capacité de prendre le pouvoir d’État, dès la fin du XVIIe siècle au Royaume-Uni et un siècle plus tard en France.
Certes, au cours de sa lente subversion économique de la féodalité, elle avait participé au pouvoir politique et contribué au nécessaire changement de la loi qui accompagne le changement du mode de production, mais c’était une participation dominée. La bourgeoisie était à l’occasion au gouvernement mais le pouvoir d’État, qui est une autre paire de manche, lui échappait sans que ça ne l’empêche de poursuivre la mise en place de l’alternative au mode de production féodal.
Évidemment, l’épanouissement du capitalisme n’a été possible qu’après la conquête de l’État, tout comme l’épanouissement du communisme ne le sera qu’après la suppression de l’État, après la désétatisation des fonctions collectives qu’il s’agira, elles, de faire grandir. Mais le verrou à faire sauter est d’abord la pratique capitaliste de la valeur, et cela se joue au quotidien dans le micro des entreprises et dans le macro des institutions de coordination de l’activité économique.
Or, pour cette conquête de la valeur économique, nous sommes loin d’être démunis. Car notre force, c’est que la valeur n’existe que dans des valeurs d’usage, celles-là dont le confinement nous a rappelé le caractère fondamental et le fait que les travailleurs, et eux seuls, les produisent. Sans les travailleurs, la bourgeoisie capitaliste n’est rien car sa maîtrise de la valeur économique, du travail abstrait, dépend du travail concret des travailleurs. Je me souviens de ce slogan de la CGT des années 1960 : les capitalistes ont besoin des travailleurs, les travailleurs n’ont pas besoin des capitalistes.
C’est d’ailleurs parce qu’elle est totalement dépendante des travailleurs que la bourgeoisie exerce une telle dictature sur la définition, le contenu et le déroulement du travail. C’est à cause de sa situation de dépendance vis-à-vis d’eux qu’elle veille avec tant de minutie à ôter aux travailleurs leur puissance d’agir au travail et sur le travail en les soumettant au marché du travail, au remboursement de la dette et, avec de plus en plus de soin au demeurant absurde, au management.
La classe ouvrière doit avant tout commencer par se reconnaître en tant que classe à part entière, afin de défendre ses intérêts face à une bourgeoisie sans cesse plus gourmande.
On a vu cependant le pouvoir se renverser dans les hôpitaux lors du confinement du printemps 2020 : les vrais travailleurs, ceux qui font ont repris le pouvoir à l’hôpital pendant que les “administratifs”, ceux qui font faire se sont vu relégués au second plan, souvent en télétravail.
Troisièmement, le caractère absolument central de la prise en main de leur travail par les travailleurs eux-mêmes a reçu un éclairage éclatant à l’hôpital. Alors que les directions, complices depuis des années de sa mise hors d’état de faire face à une pandémie, étaient dans les choux, les soignants, dépossédés depuis des décennies de leur liberté d’exercice, l’ont retrouvée dans les conditions dramatiques qu’ils ont affrontées. Or pleuvent aujourd’hui sur eux des menaces et des sanctions de la part de gestionnaires avides de retrouver leur pouvoir mortifère.
De la même manière, le régime général de la sécurité sociale a été largement géré par les travailleurs de 1946 à 1967 :
Le salariat, et le salaire qui l’accompagne, est une institution anticapitaliste par essence, pour peu qu’on lui accorde le sens qu’il mérite. On parlait avant de qualification quand on parle plus souvent aujourd’hui de compétences.
Le salaire est une institution anticapitaliste, fruit d’un combat de classe constant de la CGT pour la qualification : qualification du poste, dans l’emploi défini par la convention collective qui sort les indépendants et les contrats à la tâche de l’infra-emploi, mais plus significativement encore, au-delà de l’emploi, qualification de la personne dans le grade de la fonction publique et des travailleurs à statut. La qualification est une institution haïe de la bourgeoisie qui témoigne que la classe ouvrière existe comme classe révolutionnaire pour soi, en capacité de contester la forme valeur capitaliste, la valeur d’échange qui n’inscrit le travailleur dans l’ordre de la valeur que par intermittence, à la mesure de ses tâches validées sur des marchés, du travail ou des biens et services, sur lesquels il n’a aucune prise.
Au contraire, la qualification, dans sa forme aujourd’hui la plus aboutie, la qualification du grade attaché à la personne, sort le travailleur de l’aléa de la valeur d’échange et le confirme en permanence comme producteur. Le mouvement n’est que commencé, et loin d’être abouti : les fonctionnaires par exemple ne sont payés qu’à mi-temps s’ils travaillent à mi-temps. Mais quelle libération que de n’avoir plus à quémander sur le marché du travail ou sur celui des biens et services sa reconnaissance comme travailleur, et cela à la stricte mesure de ses tâches validées !
Dans le capitalisme, la personne reste en permanence étrangère au travail, une institution qui est le monopole de la bourgeoisie, le travailleur ne pouvant que tirer du travail un avoir, un « compte personnel d’activité » sur lequel il pourra tirer dans les périodes où il n’est pas reconnu comme travailleur.
Au contraire, dans le mouvement du communisme, est en train de s’instituer un tout autre travail, endogène aux personnes, lesquelles sont enrichies d’une qualification qui les libère de l’aléa de la validation marchande de leur activité. C’est parce que la personne est en permanence porteuse d’une qualification, et donc d’un salaire, qu’elle peut sans crainte livrer en permanence son travail à l’évaluation : le statut du producteur en train de se construire est cohérent avec la responsabilité des travailleurs sur la production, laquelle ne peut s’exercer que par évaluation permanente du travail.
Les travailleurs d’aujourd’hui ne se sentent faibles que parce qu’ils ne savent pas à quel point ils sont forts.
]]>La stabilité politique, alpha et oméga de ceux qu’effraye tout changement, se fait trop souvent au prix de l’instabilité sociale. Certes, on peut dire, à l’instar du premier ministre Raffarin, que « ce n’est pas la rue qui gouverne » et que « la politique a justement été inventée pour se substituer à la violence ». Mais ce qui a été inventé il y a plus de deux mille ans par Clisthène pour se substituer à la violence, ce n’est pas la politique en général, mais la démocratie. Et, lorsque la tension sociale s’exacerbe (manifestations répétées et massives, grèves en cascade, etc.), le recours au suffrage universel ne devrait-il pas permettre de trancher les conflits, plutôt que l’oukase présidentiel ? Essentiels, le rapport de forces idéologique et les luttes populaires doivent trouver leur expression dans les institutions, sous peine de les voir surgir sous d’autres formes.
La cinquième république a fait le choix de la stabilité politique aux dépens de la stabilité sociale. Et si les institutions ne sont plus à l’écoute du peuple, alors la voix du peuple se fera entendre autrement.
Peut-il y avoir respect des élus quand ceux-ci ne respectent pas les électeurs ? L’adoption du traité de Lisbonne par le Parlement a ouvert une fracture non refermée. Celle-ci explique sans doute la popularité du référendum d’initiative citoyenne revendiqué par nombre d’associations et de manifestants depuis le mouvement des « gilets jaunes ».
Si la démocratie a été inventée pour se substituer à la violence, alors on est en droit de s’inquiéter de ne plus être en démocratie.
]]>La planification est souvent décrite comme une caractéristique du communisme soviétique et décriée par le capitalisme comme étant une des raisons expliquant la chute de l’URSS.
Dans Le Calcul économique en régime socialiste, publié en 1920, l’économiste autrichien Ludwig von Mises interroge : dès lors qu’une communauté dépasse la taille de la cellule familiale primitive, les dispositifs de planification socialiste sont-ils capables de déterminer quoi produire, dans quelle quantité et quand ? Selon Mises, non. S’aventurer dans cette voie conduit nécessairement aux pires vicissitudes sociales et économiques : pénuries, famines, frustrations et chaos.
Pour Mises, toutes les informations nécessaires à la production économique sont déjà disponibles, ailleurs. À travers un mécanisme très simple : le prix de marché. Celui-ci refléterait à la fois l’état de l’offre et de la demande pour chaque ressource, le coût des intrants, l’évolution des goûts des acheteurs… « Le socialisme fonctionne en théorie, mais pas dans la vraie vie », aiment à répéter les conservateurs. Selon Mises, même comme simple construction intellectuelle, la planification s’avérerait dysfonctionnelle.
Le bon sens invite à considérer comme peu fiable une théorie incapable de passer l’étape de sa mise en œuvre pratique. Que faut-il cependant penser d’un système dont la théorie a prévu l’échec, mais qui fonctionne à merveille ? C’est un peu ce qu’offre Walmart : l’une des plus étonnantes démonstrations que la planification, dont Mises a tenté de démontrer l’impossibilité, peut s’avérer d’une remarquable efficacité.
Le modèle économique de l’entreprise Walmart est souvent critiquée, mais l’aspect analysé dans cet article concerne son organisation logistique.
Le géant américain offre ainsi un modèle d’économie planifiée dont l’échelle rivalise avec celle de l’URSS au cœur de la guerre froide : en 1970, le produit intérieur brut (PIB) soviétique atteignait environ 800 milliards de dollars (730 milliards d’euros) actuels, contre 485 milliards pour Walmart en 2017. Si Mises et ses amis avaient raison, le géant américain n’existerait pas.
L’entreprise Walmart a très tôt misé sur la technologie pour organiser sa chaîne logistique. Cela permet de faire remonter très rapidement les informations depuis les consommateurs vers les fournisseurs. Ces derniers disposent donc d’une information complète leur permettant d’organiser, de planifier leur production.
Walmart a par exemple été la première entreprise à utiliser des codes-barres universels pour toutes ses sociétés. Désormais, sa gigantesque base de données Retail Link, connectée par satellite, met les prévisions de demande à disposition des fournisseurs et offre à tous les acteurs un accès à des informations en temps réel sur les ventes, compilées par les caisses enregistreuses. Tout cela suggère que, grâce au progrès technologique, une planification économique à grande échelle est bien à l’œuvre chez Walmart, alors même que Mises estimait la chose impossible.
D’autres entreprises ont fait le choix opposé, en mettant en concurrence des silots internes à l’entreprise, en diminuant le partage d’information, et donc la capacité à planifier.
A contrario, l’un des principaux concurrents de Walmart, l’entreprise Sears, Roebuck and Company, fondée il y a cent trente ans, s’est effondré après avoir misé sur une approche radicalement opposée. La Sears Holdings Corporation a enregistré des pertes d’environ 2 milliards de dollars en 2016, soit un total de 10,4 milliards depuis 2011, la dernière année à s’être conclue par un résultat positif. Cette débâcle s’explique par une décision : celle du président-directeur général Edward Lampert de désagréger les divisions de la société dans l’optique de les mettre en concurrence — bref, de créer un marché interne. D’un point de vue capitaliste, l’opération semblait sensée. Les chefs d’entreprise ne cessent-ils pas de répéter que le marché est la source de la richesse dans la société moderne ?
M. Lampert restructure donc les opérations et divise le groupe en trente, puis quarante unités invitées à entrer en concurrence les unes avec les autres. Au lieu de coopérer, les branches […] doivent soudain fonctionner de façon autonome, avec leur propre président, leur propre conseil d’administration et leurs propres comptes de résultat.
Le marché intérieur s’opacifie du fait de la rétention d’information de chaque unité, qui ne coopère plus avec les autres.
Alors que la courbe des profits plonge, la concurrence s’accentue au sein de l’entreprise, chacun tentant de capter le peu de liquidités encore disponibles. Dans le même temps, la rentabilité de chaque opération se trouve réduite par la duplication de nombreuses fonctions managériales, puisque aucune charge structurelle n’est partagée.
La concurrence entre les unités incite celles-ci à le plus communiquer, à ne plus coopérer. Les processus d’optimisation aboutissent donc à des optimisations locales aux dépens d’optimisation globale.
Au bout du compte, les différentes unités prennent le large, ne voyant plus aucun intérêt à l’intégration au sein d’un même groupe. Certaines quittent le navire, d’autres s’effondrent, précipitant un constat : le pari concurrentiel de M. Lampert a échoué, son modèle paralysant toute forme de coopération.
Les unités n’étant plus liées entre-elles, la guerre économique fait rage et les unités s’éloignent les unes des autres.
Autrement dit, la planification de Walmart incite à une meilleure intégration tandis que le marché libre incite à la désintégration.
]]>Anaïs Henneguelle est maîtresse de conférences en économie à l’Université de Rennes 2 et membre du collectif d’animation des Économistes Atterrés.
Ce guide d’autodéfense a pour vocation de fournir des arguments à tous ceux et toutes celles qui s’opposent à la réforme des retraites mais sont parfois démunis face aux éléments de langage (la plupart du temps incomplets ou simplistes) qu’on leur oppose. En bref, comment (se) mobiliser contre la réforme des retraites ?
Les 12 idées reçues démontées sont les suivantes :
Tous les arguments sont sourcés par des notes de bas de page (et pas moins de 67 notes de bas de page !).
]]>Selon lui, la transition d’un état démocratique et vers un état autoritaire n’est pas binaire. Et un état qui se repose fortement sur sa police est plutôt du côté de l’autoritarisme que du côté de la démocratie.
Nous sommes dans cette gradation des différents types d’exercice du pouvoir dans une démocratie, décrite par Juan J. Linz. Entre démocratie et dictature, il distingue une multitude de nuances, comme celle de la « démocratie illibérale ». La mécanique électorale demeure mais à l’échelle de l’exercice du pouvoir, un autoritarisme s’affirme ; il peut conduire au basculement, avec la généralisation de l’état d’urgence, la permanence de l’état d’exception. Cette possibilité de bascule vers un État policier, où l’autorité politique se soumet au corps policier, est manifeste en France. Les tracts de certains syndicats de police comme Alliance ou le SCPN sont de plus en plus agressifs. Pas seulement à l’égard des militants et des défenseurs des droits de l’homme : l’autorité civile et politique, qui normalement dirige, est elle aussi mise en cause dans ces publications. « Si un policier est jugé, voire condamné pour des violences policières, vous ne nous verrez plus dans la rue », affirment-ils en substance. Le corps policier, on le sent, exerce une pression très lourde sur le ministère de l’Intérieur.
Le déni des violences policières par les représentants de l’état use d’un argument fallacieux : les violences policières n’en sont pas car les policiers sont des représentants de l’état et l’état est fondé - par la loi - à user de la violence légitime.
Parler du monopole ou même de l’usage de la violence légitime relève d’une erreur de droit. Il n’y a pas de monopole de la violence légitime pour l’État. Ça n’existe pas dans le droit pénal. Toute violence, quelle qu’elle soit, est une infraction pénale. Vous pouvez ensuite avoir des faits justificatifs ou des causes d’exonération de responsabilité pénale.
Ces violences policières sont-elles des débordements marginaux, des dérives individuelles de certains policiers ? Ou bien relèvent-elles d’une stratégie globale délibérée ?
La vraie question qui se pose porte sur la nature de ces violences : relèvent-elles d’une stratégie délibérée ? Je pense que oui. Avec d’autres - journalistes, responsables politiques, sociologues - j’ai suffisamment d’éléments en main, d’expérience, de dossiers, de lectures, pour affirmer que ce pouvoir politique extrêmement fragile ne tient plus que par la police, par l’usage de la force et des armes.
Au fil de ces violences policières, le corps policier dans son ensemble perd peu à peu son crédit, son image de défenseur de l’ordre et garant de l’application de la justice. Il apparaît de plus en plus clairement comme la garde impériale d’un gouvernement, d’une caste qui se retranche derrière la force pour mieux se protéger du peuple.
Le symptôme d’une démocratie malade.
]]>Pour les travailleurs, la problématique majeure d’une grève est davantage de la faire durer que de la déclencher.
Dans les cortèges et sur les piquets de grève, une question taraude : comment subvenir aux besoins élémentaires et continuer à se nourrir, à se chauffer et se loger sans salaire ? Comment payer les factures ?
La durée moyenne des grèves n’a cessé de chuter au cours du 20ième siècle.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où les ouvriers avaient les moyens de tenir la grève. Grâce, notamment, à leur lien avec la campagne et les paysans. Leur enracinement leur offrait une meilleure capacité de résistance. Les statistiques en témoignent. De 16 jours jusqu’aux années 1930, la durée moyenne des grèves a chuté à 2,5 jours après la Seconde Guerre mondiale. Le chiffre n’a pas cessé, depuis, de baisser. « Les conflits sociaux dans le secteur privé sont désormais très courts et les grèves de plusieurs jours extrêmement rares, constate l’historien Stéphane Sirot. Elles ont laissé place à d’autres pratiques plus ponctuelles, comme la journée d’action et le débrayage, qui consiste à bloquer seulement quelques heures, voire quelques minutes la chaîne. »
Au début du 20ième siècle, “les usines étaient enchâssées dans le milieu rural”, les ouvriers et les ouvrières disposaient donc de moyens de subsistance alternatifs.
La possession personnelle d’une parcelle de terre cultivable était alors une formidable caisse de grève : elle fournissait de quoi vivre à celles et ceux qui n’avaient plus de gagne-pain. Elle permettait d’échapper à la menace du dénuement.
Souvent dotés d’un logement et d’un potager, les ouvriers et les ouvrières étaient majoritairement autonomes pour le gîte et le couvert. Leur souveraineté alimentaire étant assurée, ils pouvaient affronter une grève longue sans craindre de souffrir de la faim.
Cet enjeu avait été bien pris en compte par les ouvriers de l’époque. La souveraineté alimentaire était alors une « arme capitale de la lutte », comme l’affirmaient en 1905 les ouvriers de Longwy, en Lorraine.
Parfois même, une basse-cour permettait d’agrémenter leur alimentation d’oeufs ou de viande.
En reportage à Montceau-les-Mines, en 1901, André Bourgeois, l’envoyé spécial des Cahiers de la quinzaine, une revue dirigée alors par Charles Péguy, relevait aussi que les mineurs en grève « jouissaient de quelque aisance ». Ils possédaient la plupart leur maison et un jardin, « d’où ils tiraient légumes et fruits, des lapins, une douzaine de poules, sept ou huit canards. Ils pouvaient tenir plusieurs mois sans paye », écrivait-il.
En accroissant la dépendance des travailleurs et des travailleuses, la domination de la classe dirigeante sur le reste de la population s’est accentuée. L’urbanisation des populations, la disparition des potagers, le recours à l’emprunt pour l’achat d’un logement, le développement de l’industrie agro-alimentaire ont été des facteurs d’affaiblissement des classes laborieuses.
Il a donc fallu l’établir et briser des modes de vie autonomes pour mieux contrôler la population. Paradoxalement, ce mouvement s’est fait en lien avec les tenants du marxisme, qui pensaient qu’une conscience de classe ouvrière était nécessaire à l’avènement du « Grand Soir ».
La séparation des classes laborieuses entre la classe paysanne et la classe ouvrière s’est faite aux dépens des deux classes, pour le plus grand profit de la classe dirigeante.
]]>L’inaction des gouvernements est d’autant plus déplorable que “il est trop tard pour éviter la catastrophe”. Il ne s’agit désormais que de limiter son impact et de se préparer à y faire face collectivement.
L’auteur associe la crise écologique en cours au système capitaliste en phase terminal. La solution passe donc par une sortie du capitalisme.
Il n’y a pas d’issue à la crise systémique en dehors d’une alternative anticapitaliste.
L’auteur estime que les gouvernements empêtrés dans le capitalisme ne sont pas en mesure de faire face à la crise écologique car cela reviendrait à scier la branche sur laquelle ils reposent.
Rien à attendre des COP. […] Plus d’un quart de siècle après Rio, de COP en COP, le cataclysme se rapproche.
L’incapacité des gouvernements est inscrite dans le système capitaliste.
L’incapacité des gouvernements face à la crise écologique, climatique en particulier, n’est pas le résultat d’une fatalité mystérieuse, ou de la perversité de la nature humaine, mais le résultat de cinq facteurs structurels : le productivisme congénital du capitalisme empêche de produire moins; le régime néolibéral d’accumulation empêche de concevoir un plan public; la contradiction entre l’internationalisation du capital et le caractère national des Etats empêche d’appréhender le défi globalement; la crise de leadership impérialiste empêche d’assurer ne fût-ce qu’un minimum d’ordre dans le désordre capitaliste (ce facteur est de surcroît aggravé par le climato-négationnisme de Donal Trump); enfin, la crise de la démocratie bourgeoise basée sur la démagogie électoraliste empêche de regarder au-delà d’un délai de trois ans. Tout cela est le produit du système capitaliste en phase terminale qui, comme disait Marx, « épuise les deux seules sources de toute richesse : la Terre et la travailleuse/le travailleur ».
S’il ne faut pas compter sur les gouvernements pour apporter une réponse adéquate à la crise écologique, s’il ne faut pas non plus compter sur des organisations internationales - comme l’ONU ou la conférence des parties (COP) - il ne reste alors plus qu’à compter sur les mouvements citoyens pour faire émerger des solutions à même de s’imposer aux états.
Ou attendre l’effondrement.
]]>A la fin des années 1980, l’URSS est affaiblie. En 1989, l’Allemagne de l’est est fragilisée et le pouvoir chancelle. Contrairement à l’histoire officielle déclinée dans les livres d’histoire, les Allemands de l’est ne rêvent pas d’une réunification, ils rêvent de la restauration de la démocratie et du socialisme dans leur pays. Mais l’Allemagne de l’ouest ne l’entend pas de cette oreille : elle souhaite profiter de cette opportunité pour annexer l’Allemagne de l’est et s’approprier ses richesses.
À l’automne 1989, la population de la RDA écrit sa propre histoire. Sans concours extérieur, les manifestations de masse à Berlin, Leipzig, Dresde destituent l’État-parti dirigé par le Parti socialiste unifié (SED), sa police politique, ses médias aux ordres. Dans les semaines qui suivent la chute du Mur, l’écrasante majorité des opposants au régime aspire non pas à l’unification, mais à une RDA démocratique — à 71 %, selon un sondage du Spiegel (17 décembre 1989). Les propos d’un pasteur lors du rassemblement monstre du 4 novembre 1989 sur l’Alexanderplatz à Berlin traduisent cet état d’esprit : « Nous autres Allemands avons une responsabilité devant l’histoire, celle de montrer qu’un vrai socialisme est possible. »
Même tonalité dans l’appel « Pour notre pays » lancé le 26 novembre et présenté à la télévision nationale par l’écrivaine Christa Wolf. « Nous avons encore la possibilité de développer une alternative socialiste à la RFA [République fédérale d’Allemagne] », affirme ce texte qui recueillera 1,2 million de signatures — sur 16,6 millions d’habitants. Réunis au sein de la Table ronde, créée le 7 décembre sur le modèle polonais et hongrois pour « préserver l’indépendance » du pays et rédiger une Constitution, mouvements d’opposition et partis traditionnels esquissent les contours d’un socialisme démocratique et écologique. L’irruption des forces politiques ouest-allemandes neutralise bientôt cette mobilisation.
Un temps sidérés par les événements, les dirigeants de Bonn — alors capitale de la RFA — se lancent à la conquête électorale du pays voisin. Leur ingérence dans le scrutin législatif du 18 mars 1990, le premier soustrait à l’influence de l’État-parti et de Moscou, est telle qu’Egon Bahr, ancien ministre social-démocrate et artisan dans les années 1970 du rapprochement entre les deux Allemagnes, parle des « élections les plus sales [qu’il ait] observées dans [sa] vie ». Fort du soutien des États-Unis et de la passivité d’une URSS affaiblie, la République fédérale dirigée par le chancelier conservateur Helmut Kohl procède en quelques mois à un spectaculaire coup de force : l’annexion d’un État souverain, la liquidation intégrale de son économie et de ses institutions, la transplantation d’un régime de capitalisme libéral.
Cette annexion, même si elle n’est jamais présentée comme telle dans les livres d’histoire, est totalement assumée par ceux qui l’ont organisée.
Pour comprendre la malfaçon de l’histoire officielle, à laquelle nul ou presque ne croit à l’Est, il faut se débarrasser du mot même qui la résume : il n’y a jamais eu de « réunification ». À cet égard, M. Wolfgang Schäuble, ministre de l’intérieur de la RFA chargé des négociations du traité d’unification, tient à la délégation est-allemande, au printemps 1990, des propos sans ambiguïté : « Chers amis, il s’agit d’une entrée de la RDA dans la République fédérale, et pas du contraire. (…) Ce qui se déroule ici n’est pas l’unification de deux États égaux. » Plutôt que de faire voter aux deux peuples allemands rassemblés une nouvelle Constitution, conformément à la Loi fondamentale de la RFA (article 146) et au souhait des mouvements civiques, Bonn impose l’annexion pure et simple de son voisin, en vertu d’une obscure disposition utilisée en 1957 pour rattacher la Sarre à la République fédérale. Signé le 31 août 1990 et entré en vigueur le 3 octobre suivant, le traité d’unification étend simplement la Loi fondamentale ouest-allemande à cinq nouveaux Länder créés pour l’occasion, effaçant d’un trait de plume un pays, dont on ne retiendra plus désormais que l’inflexible dictature policière, le kitsch vestimentaire et la Trabant.
La brutalité du rattachement de l’Allemagne de l’est provoqua un choc économique qui détériora durablement les conditions de vie des Allemands de l’est.
En une nuit, la RDA accomplit la libéralisation économique que l’Allemagne occidentale avait menée après-guerre en une décennie. En juillet, la production industrielle chute de 43,7 % par rapport à l’année précédente, de 51,9 % en août et de près de 70 % fin 1991, tandis que le nombre officiel de chômeurs grimpera d’à peine 7 500 en janvier 1990 à 1,4 million en janvier 1992 — plus du double en comptant les travailleurs au chômage technique, en reconversion ou en préretraite. Aucun pays d’Europe centrale et de l’Est sorti de l’orbite soviétique ne réalisera plus mauvaise performance…
Les biens publics ont été rassemblés au sein de la Treuhand, une structure en charge de liquider ou de privatiser l’ensemble de ces biens avec à la clé une énorme destruction de capital productif en même temps qu’un accaparement des biens de l’Allemagne de l’est par des investisseurs de l’Allemagne de l’ouest.
La Treuhand s’acquitte de sa mission en privatisant ou en liquidant la quasi-totalité du « patrimoine du peuple » — nom donné aux entreprises et aux biens d’État dont elle reçoit la propriété le 1er juillet 1990. À la tête de 8 000 combinats et sociétés, avec leurs 32 000 établissements — des aciéries aux colonies de vacances en passant par les épiceries et les cinémas de quartier —, d’une surface foncière représentant 57 % de la RDA, d’un empire immobilier, cette institution devenue en une nuit le plus grand conglomérat du monde préside aux destinées de 4,1 millions de salariés (45 % des actifs). À sa dissolution, le 31 décembre 1994, elle a privatisé ou liquidé l’essentiel de son portefeuille et peut s’enorgueillir d’un bilan sans équivalent dans l’histoire économique contemporaine : une ex-RDA désindustrialisée, 2,5 millions d’emplois détruits, des pertes évaluées à 256 milliards de marks pour un actif net initial estimé par son propre président, en octobre 1990, à 600 milliards !
Ce prodige du libéralisme représente pour Mme Luft, dernière ministre de l’économie de la RDA, « la plus grande destruction de capital productif en temps de paix ». Les chercheurs Wolfgang Dümcke et Fritz Vilmar y voient de leur côté un temps fort de la colonisation structurelle subie par la RDA : investisseurs et entreprises ouest-allemandes ont racheté 85 % des sites de production est-allemands ; les Allemands de l’Est, 6 % seulement.
Outre l’enrichissement de investisseurs d’Allemagne de l’ouest, cette opération avait également pour effet de supprimer toute concurrence en provenance d’Allemagne de l’est, garantissant ainsi les marges des entreprises d’Allemagne de l’ouest.
Une série de décisions absurdes ainsi que la collusion entre la Treuhand, le gouvernement conservateur et le patronat ouest-allemand ont nourri la conviction — jamais démentie — que la Treuhand avait d’abord agi pour éliminer du marché toute concurrence susceptible de faire baisser les marges des groupes ouest-allemands.
L’action de la Treuhand a été le théâtre d’actes qui aujourd’hui encore restent dans les mémoires des Allemands de l’est :
L’Allemagne de l’est reste - aujourd’hui encore - meurtrie de ces actes de prédation.
Plusieurs années après la réunification, les langues se délient et la vérité fait surface petit à petit.
« En vérité, a admis en 1996 l’ancien maire de Hambourg Henning Voscherau (SPD), les cinq années de “construction de l’Est” ont représenté le plus grand programme d’enrichissement des Allemands de l’Ouest jamais mis en œuvre. »
Une réunification qui avait la forme d’une annexion et le goût amer de la spoliation.
]]>Eliane Viennot est professeuse de littérature, historienne et féministe. Dans un article intitulé la langue d’autrefois est bien moins sexiste qu’aujourd’hui, elle montre que les barbarismes inventés par le langage épicène ne sont en aucun cas des néologismes, mais en réalité des mots anciens qu’on ne fait que ressortir de l’oubli.
Nous y répertorions les mots qui ont disparu, tels que « autrice » ou « professeuse », avec les références des textes dans lesquels nous les avons trouvés, pour prouver que ces mots ne sont pas des néologismes… Ils figurent dans des textes du XIV, XVI ou XVIIème siècle ! Le fait de donner les références exactes permet aux gens de voir que nous ne racontons pas des salades, et d’aller chercher par eux-mêmes si la question les intéresse.
Dans notre rubrique, nous avons aussi mis des témoignages de bagarres entre intellectuel.les. Car bien des mots n’ont pas été oubliés : on leur a fait la guerre. Des grammairiens précisent dans leurs ouvrages qu’il ne faut pas les utiliser ; et ils ne les inscrivent pas dans les dictionnaires…
Le langage a été orienté en France avec l’objectif de masculiniser certains termes et d’en féminiser d’autres. La société a délimité la place des hommes et celle des femmes, et le langage était un des outils pour mener à bien cette polarisation de la société.
[…] je me suis rendue compte que l’Europe a connu une véritable guerre intellectuelle sur la place des femmes dans notre société… guerre dont la France a été l’initiatrice. Cette « querelle des femmes » a commencé à monter vers les XIII-XIVème siècles, après la création des universités (strictement masculines). Cela a engendré des débats sur la place des femmes dans l’éducation, la famille, la politique etc. Mais on ne se dispute pas sur la langue avant le début du XVIIème siècle. Et ensuite cette querelle s’envenime, parce que la masculinisation de la langue s’accentue.
Jusqu’au 17ième siècle, la lecture et l’écriture étaient peu répandues et il fallait que les distinctions de genre s’entendent. Ainsi, autrice se distingue mieux de auteur que auteure.
La langue d’autrefois est bien moins sexiste qu’aujourd’hui. Jusqu’au XVIIème siècle, les femmes ne sont jamais nommées au masculin. Alors qu’aujourd’hui, cela nous paraît normal de dire par exemple qu’une femme est « directeur » ou « entrepreneur ». Tout le monde en aurait ri, à l’époque ! Dans les langues romanes, on parle des femmes au féminin et des hommes au masculin, grâce à des finales de mots qui s’entendent. Tous les féminins s’entendaient en français jusqu’au XVIIème, parce que les gens avaient besoin de l’entendre.
Les anciens types d’accord étaient également moins sexistes :
Ces règles sont beaucoup plus intuitives que la règle basique aujourd’hui enseignée à l’école : “le masculin l’emporte sur le féminin”.
Ceci dit, ces règles sont décidées en haut-lieu : chez les grands auteurs, les encyclopédistes, les académiciens… Jusqu’au début du 20ième siècle, elles ne se propagent guère dans la société et les usages ancestraux demeurent.
Mais jusqu’au début du XXème siècle, il n’y a pas d’institution capable de mettre tout le monde au garde à vous, puisqu’il n’y a pas d’école primaire obligatoire. Donc ce que peuvent dire ceux qui émettent les normes, comme les académiciens, n’a pas forcément une grande portée. Les modes d’apprentissages sont très divers. Les anciens usages se perpétuent donc très longtemps – comme les langues régionales.
Les choses changent avec la démocratisation de l’écrit et la montée en puissance de l’académie française. La pression pour l’adoption des nouveaux usages augmente et si les anciens usages n’ont pas totalement disparu, ils deviennent des figures de style réservées aux grands auteurs.
Un exemple marquant de cette lutte de l’académie française pour la domination du masculin se matérialise dans l’adjonction d’un nouveau sens au mot Homme (avec un grand h) qui recouvre un groupe composé de tous les hommes et de toutes les femmes. Cette généralisation apporte de la confusion sur le sens des mots. Si le mot homme peut recouvrir plusieurs sens, le mot femme est également polysémique. Dès lors, on ne sait plus trop si la femme est l’homologue de l’homme ou si elle est l’homologue de l’époux
Mais l’Académie a décidé, à la fin du XVIIème siècle, que « homme » pouvait servir pour parler de l’humanité toute entière, autrement dit que les femmes sont des hommes. Cette conclusion absurde, ils ne l’ont jamais tirée : les académiciens voulaient juste grandir « l’homme » ! Mais elle est inévitable en logique : si homme = humanité, alors homme = femme.
Paradoxalement, cette assimilation de 3 notions : humain, homme, femme a probablement servi les luttes féministes contre la domination masculine et pour l’égalité des sexes, se retournant ainsi contre les objectifs de l’académie française et ses principes ségrégationnistes.
La masculinisation de la langue est une construction délibérée, que nous dé-construisons aujourd’hui. La domination du masculin sur le féminin était déjà présente, nous en avons hérité du latin et du grec, puisque les hommes ont toujours dominé la parole publique et l’écriture, mais elle était beaucoup moins prégnante, et moins absurde.
Le langage a toujours été un outil d’influence - ce qui ne se nomme pas n’existe pas - il a par conséquent été utilisé pour modifier l’équilibre entre le masculin et le féminin. Il y a quelques siècles, la langue française était moins sexiste qu’aujourd’hui, et elle a délibérément été rendue plus sexiste par des hommes académiciens.
Si la langue théorique des livres de grammaire est importante en ce qu’elle garantie son utilité comme outil de communication partagé, la langue pratique de la rue a toute son importance également car une langue n’est vivante que tant qu’elle est parlée, tant qu’elle évolue.
]]>Alors que des révoltes éclatent aux quatre coins du monde, gouverner aujourd’hui s’apparente de plus en plus à mener une guerre ouverte ou larvée contre les soulèvements des peuples et des êtres vivants, pour maintenir coûte que coûte un ordre de plus en plus discrédité.
Pour Alain Bertho, ce qu’il importe de préserver est à la base de toutes nos sociétés et nous définit en tant qu’être humain faisant partie d’un tout : l’humanité.
Ce qui fait l’Humanité, pour l’anthropologue que je suis, c’est sa conscience d’elle-même et sa conscience du temps, sa capacité à rêver, à espérer, à inventer, à s’inventer sans cesse.
Alain Bertho mène depuis depuis 35 ans des recherches sur les classes populaires urbaines et leurs mobilisations. Depuis 2005, il s’intéresse particulièrement à la violence collective et aux affrontements civils. Au travers de ces révoltes, ces guerres ouvertes ou larvées, c’est l’humanité elle-même qui est menacé, elle qui nous conduit à faire société et à nous imaginer une destinée commune.
L’enjeu d’aujourd’hui n’est donc pas tant de sauver coûte que coûte la démocratie représentative que de réunir le peuple et les peuples dans la recherche d’un avenir commun, d’une éthique commune du vivant dans l’apocalypse qui commence.
La désaffection des politiques et du politique par les populations est donc un indice majeur du délitement de nos sociétés.
Contrairement à ce que pourraient laisser à penser les collapsologues, « l’effondrement » tant annoncé ne sera pas d’abord un processus technico-économique qui, du jour au lendemain sans crier gare, mettrait fin à notre civilisation, et par conséquent à la politique. L’effondrement qu’on nous annonce a déjà commencé. Et c’est sur ce terrain, la politique, qu’il se manifeste aujourd’hui à l’échelle planétaire. Les soulèvements ne sont pas la cause de cet effondrement. Ils en sont le symptôme et peuvent en être l’antidote salutaire.
Quand nos dirigeants n’ont plus de légitimité, ils commencent à avoir peur du peuple et ils s’orientent vers des mesures de contrôle autoritaire de la population. La seule réponse de la population ne peut être qu’un soulèvement qui mène à des affrontements entre les gouvernés et les gouvernants.
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