Dans un article intitulé salariés et retraités en ligne de mire, Martine Bulard effectue une mise au point et s’applique à relativiser les ordres de grandeur.
Avant même d’entrer dans le détail des mesures, on peut s’interroger sur la dramatisation des déficits et l’inquiétude permanente instillée dans les têtes. Certes le trou existe, mais il n’est pas abyssal : 4,5 milliards d’euros sur 98 milliards de cotisations versées. Il est principalement dû à la récession (et non à un problème structurel). D’ici 2020, il tutoiera 1 % du produit intérieur, soit un peu plus de 20 milliards. C’est l’équivalent de ce que le gouvernement vient d’offrir sur un plateau au patronat au nom du plan compétitivité. Sans obligation aucune pour les dirigeants d’entreprise en matière d’emploi, de salaire ou même de formation. Sans que la question du financement n’ait troublé qui que ce soit. Ce qui est possible pour les patrons ne l’est plus pour les salariés ou les retraités ?
Nul ne nie l’augmentation du nombre de personnes de plus de 65 ans. Mais la vague grise n’a rien d’une déferlante : nous ne sommes ni en Allemagne ni au Japon. D’une part, la France a une démographie dynamique et disposera donc à l’avenir d’une population active en augmentation. D’autre part, elle connaît une productivité du travail parmi les plus élevées du monde. Si, comme on nous le répète souvent, il y avait effectivement 2,5 actifs pour 1 retraité en 1970 contre 1,5 actif d’ici 2020, ce dernier produit aujourd’hui plus que les 2,5 d’antan. Du point de vue des richesses disponibles pour les retraites, il n’y a donc pas de pénurie. Contrairement à ce que prétendent les apôtres de l’apocalypse, l’actif de demain ne sera pas pressuré par les vieux à venir.
Elle critique au passage le cadeau fiscal offert au patronat et montre au passage que la crise sert de prétexte à une réforme structurelle préparée de longue date qui vise à sortir les allocations familiales de la Sécurité sociale, et donc des cotisations sociales.
Quant au patronat, le pouvoir lui redonne d’une main ce qu’il lui a pris de l’autre. Le premier ministre s’est engagé à « baisser le coût du travail » et donc à compenser la hausse des cotisations vieillesse par une baisse des cotisations familiales… qui seront alors payées par les contribuables (les salariés et les retraités). Non seulement le gouvernement exonère les chefs d’entreprise, mais il en profite pour amorcer une réforme structurelle réclamée par les chantres de l’austérité depuis des décennies : sortir les allocations familiales du périmètre de la Sécurité sociale pour les laisser à la solidarité nationale (et aux aléas du budget de l’Etat) et décharger l’entreprise de toute responsabilité sociale.
A en croire les porte-voix libéraux, ce sont les cotisations sociales qui ruineraient l’économie française et casseraient le génie industriel. Il n’en est rien. Entre 1980 et 2011, la part payée par les employeurs dans la valeur ajoutée des sociétés non financières s’est réduite de 1,7 point. Et pour quel bénéfice ? Les investissements sont restés quasiment stables (+ 0,2 point). En revanche les actionnaires ont touché le gros lot : la part des profits distribués a en effet grimpé de 6 points.
Finalement, le gouvernement actuel poursuit l’effort du précédent gouvernement qui consiste non pas à augmenter les recettes, mais à diminuer les dépenses, à savoir les pensions versées aux retraités.
Mais déjà aujourd’hui, plus d’un salarié sur trois ne peut partir à 62 ans avec une retraite pleine et entière : ils doivent choisir entre partir et subir pour le restant de leurs jours une décote qui peut aller jusqu’à 8 %, rester dans leur emploi s’ils le peuvent, ou s’inscrire au chômage. Beaucoup — près de 3 sur 10 — n’ont pas le choix et sont jetés dehors avant de pouvoir aspirer à une nouvelle vie. Du reste, le nombre de chômeurs de plus de 55 ans augmente à mesure que recule l’âge de départ. Autrement dit, ce que l’on ne paie pas en pensions on le paie en indemnités chômage. Sauf que celles-ci sont souvent inférieures à la pension attendue. C’est d’ailleurs tout le calcul du patronat et du gouvernement : avoir moins à débourser.
Le pouvoir de gauche a donc décidé de se mettre dans les pas de ses prédécesseurs de droite. Ces derniers avaient allongé de six trimestres le temps de cotisations entre 2003 et 2019 ; le gouvernement Ayrault les augmentera de six trimestres entre 2020 et 2035. Résultat : les personnes nées en 1973 partiront aux environs de 68 ans en moyenne. A condition qu’ils ne connaissent pas de carrière en dents de scie. Nombre de jeunes en sont à se demander s’ils verront un jour la retraite ; ce qui accroît encore leur angoisse de l’avenir.
En escamotant le débat public sur les retraites, l’élite politique se barricade dans cellule sans issue.
Le risque est grand de voir corseter les pensions, sans le début d’un débat public. On a l’impression que pour l’élite (de gauche ou de droite), plus les réformes sont nocives, plus la démocratie fait peur.
En fuyant le débat sur les retraites, l’élite politique piétine la démocratie.