Dans un article intitulé qu’est-ce que la démocratie ? (ou une analyse préliminaire de la loi Renseignement), un avocat de formation analyse les effets de la loi Renseignement sur la démocratie en France.
Sa réponse de juriste est éclairante :
[…] pour vous offrir une réponse de juriste (et en effet, à la fin des fins, la démocratie est bien une affaire juridique), ce qui définit la démocratie, c’est quelque chose de plus conceptuel : la prévalence de la règle de droit sur l’arbitraire. En d’autres termes, le recours systématique à la norme, et même à une hiérarchie des normes, tant dans les relations entre individus que dans celles qu’ils entretiennent avec l’État, plutôt qu’à la loi du plus fort ou aux desiderata, aussi inspirés soient-ils, de la puissance publique.
Le billet précédent, intitulé en finir avec l’Europe indiquait justement que “cette diminution de la démocratie devrait être compensée par plus de règle, par plus d’arbitraire en quelque sorte”. La question de l’arbitraire est donc plus que jamais d’actualité !
Pour être plus concret, la liberté d’expression et la séparation des pouvoirs sont des piliers de la démocratie :
Le multipartisme est garanti non pas pour faire joli, mais parce que la norme « suffrage universel » est subordonnée à une autre norme, qui lui est supérieure, celle de la liberté d’opinion et d’expression. Et l’État de droit est mis en place parce qu’il n’existe aucune raison de faire échapper la puissance publique à la rationalité de la norme.
On comprend mieux l’attachement de Montesquieu à la séparation des pouvoirs : si l’édiction, l’application et le contrôle de la loi sont confiés aux mêmes personnes, construire tout un système basé sur la règle de droit relève de la farce politique – surtout lorsque la règle en question touche à des normes préexistantes auxquelles le régime accorde, en théorie du moins, une importance particulière.
La loi Renseignement est un pied dans la porte de ces deux principes fondamentaux :
Les mesures proposées portent une atteinte sérieuse au respect de la vie privée que les citoyens sont en droit d’attendre de leur prochain et surtout de l’État. Cette règle se place au sommet de la hiérarchie des normes pour une raison simple : si l’État peut inspecter à tout moment ce que les citoyens communiquent, écrivent ou même pensent, l’application de la règle de droit devient pour le moins déséquilibrée.
Quant à la procédure envisagée, elle constitue sans conteste une entorse importante au principe de séparation des pouvoirs, puisqu’elle met l’application et le contrôle de la règle entre des mains sinon identiques, du moins intimement liées, puisque toutes deux filles de l’exécutif.
Pour autant, on ne bascule pas d’un jour à l’autre (le jour de la proclamation de la loi) d’une démocratie vers une non-démocratie :
[…] la démocratie n’est pas une affaire binaire mais une question de degré : plus les rapports seront soumis au droit et les pouvoirs clairement séparés, plus un régime pourra être qualifié de démocratique ; et inversement, à chaque fois qu’un régime exclura certains rapports de la règle de droit ou soustraira certaines missions à la séparation des pouvoirs, il deviendra un peu moins démocratique.
Le jour où la loi sera proclamée, on se réveillera dans un pays un peu moins démocratique que la veille…