Il est “faux et trompeur” d’affirmer que “l’agriculture biologique présente des limites à cause de ses rendements inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle”. C’est ce qu’explique Jacques Caplat - agronome et fils de paysan - dans un article intitulé les rendements de l’agriculture biologique, un quiproquo tenace.
Les études académiques généralement citées pour comparer les rendements en agriculture biologique et en agriculture conventionnelle présentent deux points communs qui ne sont pas anodins : elles sont réalisées en milieux tempérés (Europe et Amérique du Nord) et leur méthodologie est caricaturalement réductionniste.
Il est trompeur d’affirmer une généralité qui ne s’applique en réalité qu’à une fraction de la totalité des terres arables :
[…] les milieux tempérés ne couvrent qu’un quart de la planète et ne concernent qu’un dixième de sa population !
Mais il surtout faux de se prononcer sur les rendements de l’agriculture biologique alors que la méthodologie employée lors de ces études ne permet pas de pratiquer l’agriculture biologique :
[…] la définition originelle et fondamentale de l’agriculture biologique est de constituer un système agricole, mettant en relation agrosystème, écosystème et humains. En bio, les paramètres n’ont de sens que dans leurs relations mutuelles et varient toujours de façon combinée. Par conséquent, faire varier « un unique paramètre » dans un système biologique signifie très exactement nier ce système, le détruire, le trahir. Dans la mesure où l’agriculture conventionnelle est, à l’inverse, précisément basée sur une démarche réductionniste et sur des paramètres isolés […]
Il faut également souligner que la part de production comptabilisée ne tient pas compte de la totalité de la production de la parcelle en agriculture biologique :
[les agronomes qui mènent ces pseudo-comparaisons] semblent par ailleurs avoir oublié que, lorsqu’une plante est cultivée en association avec d’autres plantes (cultures associées), le rendement global de la parcelle est toujours supérieur à celui de cultures pures séparées (même si, bien entendu, le rendement particulier de la culture principale est plus faible).
La méthodologie employée est stérile car elle compare l’agriculture conventionnelle à une agriculture qui n’est pas l’agriculture biologique :
D’un côté, ils implantent un blé conventionnel. Pour cela, ils utilisent des semences d’une variété inscrite au catalogue officiel (ce qui est impératif pour autoriser sa culture commerciale), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent avec le soutien de la chimie (engrais et pesticides).
D’un autre côté, ils implantent la même variété (dogme de toute comparaison réductionniste : un seul facteur doit varier), c’est-à-dire une variété standardisée qui a été sélectionnée strictement pour la chimie depuis 70 ans. Ils la sèment en culture pure dans un champ sans relations écosystémiques, puis la cultivent sans aucun recours à la chimie.
Vous avez bien lu. La deuxième partie de la comparaison est intégralement conventionnelle, à l’exception de la suppression des engrais et pesticides de synthèse. Il s’agit donc d’une comparaison entre un « blé conventionnel standard » et un « blé conventionnel sans chimie ».
Voilà le cœur du malentendu : la plupart des agronomes, par incompréhension ou négligence, semblent croire sincèrement que l’agriculture biologique serait « la même chose moins la chimie », comme s’il existait une seule voie agronomique, comme si les techniques actuelles étaient les seules possibles. C’est hélas la preuve d’une méconnaissance inquiétante de l’histoire agricole mondiale et de la profonde multiplicité des solutions imaginées dans les divers « foyers » d’invention de l’agriculture. Une agriculture basée sur des variétés standardisées (et en outre sélectionnées pour être soutenues par la chimie de synthèse, dans des procédés de sélection qui emploient trois fois plus de chimie que les cultures commerciales !), en culture pure, sans écosystème, n’est pas autre chose que de l’agriculture conventionnelle. Avec ou sans chimie, elle n’est certainement pas une culture biologique.
Ces comparaisons consistent donc à dépenser des millions d’euros (ou de dollars) pour constater qu’un modèle agricole intégralement construit autour de la chimie fonctionne moins bien lorsqu’on lui supprime le recours à la chimie. En d’autres termes, pour enfoncer des portes ouvertes. J’oubliais : cela permet également de publier. Les résultats n’apportent strictement aucune information, mais ils sont conformes aux règles de publication.
Mais la critique est facile, Jacques Caplat tente donc de répondre à la question originelle :
Nous en revenons alors à la question sensible : comment comparer les deux agricultures ?
Sa réponse est simple : passer d’une étude limitée et quasiment hors-sol à un grand échantillon statistique d’études in situ.
L’agriculture biologique est, dans sa définition originelle et sa mise en œuvre concrète, un organisme systémique. Elle est donc obligatoirement liée à un environnement et à des pratiques sociales (techniques, outils, traditions, savoirs, besoins, choix de société), et aucune « parcelle expérimentale » artificielle ne peut la réduire à un modèle simple. Chaque ferme est unique… mais les fermes se comptent par millions en Europe et par centaines de millions dans le monde. Il suffit dès lors de mesurer les rendements réels, sur plusieurs années, dans un vaste échantillon de fermes réelles.
Il est parfaitement possible de définir les pratiques permettant de classer chaque ferme dans la catégorie « conventionnelle » ou dans la catégorie « biologique » : présence ou absence de produits chimiques (qui ne suffisent pas à définir la bio… mais dont la suppression met en branle ses pratiques systémiques), culture pure ou associées, absence ou présence des arbres, semences standardisées ou adaptées aux milieux, etc. Il est parfaitement possible ensuite de mesurer les rendements pluriannuels et de les soumettre à un traitement statistique. Pour peu que l’échantillon soit suffisant, le résultat est parfaitement scientifique… et même publiable dans les revues académiques.
Ce type d’étude a d’ailleurs déjà été mené, et il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi les résultats de ces études n’ont pas été plus médiatisés.
Le résultat est édifiant : toutes ces études, réalisées dans les pays non-tempérés (c’est-à-dire les trois-quarts de la planète), montrent que l’agriculture biologique y obtient des rendements supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle.
En Europe, l’agriculture conventionnelle présente cependant le meilleur rendement. Cela s’explique aisément par des questions de règlementation, de fiscalité, de manque de savoir et de savoir-faire.
Pourtant, il faut l’admettre, les rendements sont moins favorables à la bio dans les milieux tempérés. […] Cela est inévitable, puisque l’agriculture bio de nos pays est soumise à des distorsions considérables : règlementations sur les semences qui obligent à utiliser des variétés standardisées et sélectionnées pour la chimie, faibles connaissances en matière de cultures associées et d’utilisation des arbres en agriculture, fiscalité construite depuis 70 ans pour faire peser les contributions sociales sur le travail (et donc défavoriser le travail au profit du pétrole), etc.
En outre, l’agriculture biologique favorise les 4 facteurs identifiés par la FAO pour lutter contre la famine :
- la disponibilité alimentaire
- l’accès à la nourriture
- la qualité des aliments
- la résilience de l’environnement (au changement)
TODO check
Le mythe des rendements bio insuffisants pour nourrir le monde est ainsi le résultat combiné d’une erreur méthodologique monumentale, d’un ethnocentrisme occidental et de politiques publiques qui entravent les pratiques biologiques. Il est temps de relever notre regard et d’avancer.
Donner la priorité à l’agriculture biologique, c’est aussi promouvoir la souveraineté alimentaire des êtres humains.