Dans un article intitulé pour en finir (vraiment) avec le terrorisme, Alain Gresh propose quelques pistes pour désamorcer l’escalade de violence usant de moyens de coercition qui se traduit par des guerres et du terrorisme.
Les combattants ont toujours été nommés de manière différente selon le point de vue de l’observateur : ils pouvaient tout aussi bien être des “soldats” que des “terroristes” selon qu’ils étaient du même bord ou non que l’observateur.
Résistants ? Combattants de la liberté ? Délinquants ? Barbares ? On sait que le qualificatif de « terroriste » est toujours appliqué à l’Autre, jamais à « nos combattants ». L’histoire nous a aussi appris que les terroristes d’hier peuvent devenir les dirigeants de demain.
Mais tous les terroristes ont un point commun : ce sont tous des groupes de taille limitée qui se battent contre une force démesurément plus grande qu’eux et à tendance totalitaire.
Au mieux, on peut inscrire le terrorisme dans la liste des moyens militaires. Et, comme on l’a dit souvent, il est l’arme des faibles.
Ironiquement, rares sont les journalistes occidentaux à faire le lien entre les nombreuses “opérations” qui ont lieu dans les ex-colonies occidentales et les événements terroristes qui ont lieu dans les pays occidentaux ex-colonisateurs.
Si les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, auteurs des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, sont mus fondamentalement par leur haine de la liberté d’expression, comme l’ont proclamé les principaux responsables politiques français, il est inutile de s’interroger sur les conséquences des politiques menées en Libye, au Mali et dans le Sahel. Le jour où l’Assemblée nationale rendait hommage aux victimes des attentats de janvier, elle votait d’un même élan la poursuite des opérations militaires françaises en Irak.
La guerre contre le terrorisme génère du terrorisme.
Ce bilan de la « guerre contre le terrorisme » serait bien fragmentaire s’il ne prenait en compte les désastres géopolitiques et humains. Depuis 2001, les Etats-Unis, parfois avec l’aide de leurs alliés, ont mené des guerres en Afghanistan, en Irak, en Libye et, de manière indirecte, au Pakistan, au Yémen et en Somalie. Bilan : l’Etat libyen a disparu, l’Etat irakien sombre dans le confessionnalisme et la guerre civile, le pouvoir afghan vacille, les talibans n’ont jamais été aussi puissants au Pakistan. Mme Condoleezza Rice, ancienne secrétaire d’Etat américaine, évoquait un « chaos constructif » en 2005 pour justifier la politique de l’administration Bush dans la région, annonçant des lendemains qui chanteraient l’hymne de la démocratie. Dix ans plus tard, le chaos s’est étendu à tout ce que les Etats-Unis appellent le « Grand Moyen-Orient », du Pakistan au Sahel. Et les populations ont été les premières victimes de cette utopie dont on a du mal à mesurer ce qu’elle a de constructif.
Les faibles sont anéantis sans aucune forme de procès tandis que les puissants sont intouchables et ne sont pas inquiétés.
Faut-il s’étonner que leur souvenir alimente une haine grandissante contre les Etats-Unis et l’Occident ? Peut-on envisager que l’ancien président Bush soit traîné devant la Cour pénale internationale pour avoir envahi et détruit l’Irak ? Ces crimes jamais poursuivis confortent le crédit des discours les plus extrémistes dans la région.
Lorsque - enfin - une parole sensée est tenue par un dirigeant politique, cette parole s’envole aussi rapidement qu’elle était arrivée.
Certains dirigeants américains ont parfois des éclairs de lucidité. En octobre 2014, le secrétaire d’Etat John Kerry, célébrant avec les musulmans américains la « fête du sacrifice », déclarait en évoquant ses voyages dans la région et ses discussions concernant l’OEI : « Tous les dirigeants ont mentionné spontanément la nécessité d’essayer d’aboutir à la paix entre Israël et les Palestiniens, parce que [l’absence de paix] favorisait le recrutement [de l’OEI], la colère et les manifestations de la rue auxquels ces dirigeants devaient répondre. Il faut comprendre cette connexion avec l’humiliation et la perte de dignité. »
Selon Alain Gresh, “l’Islam n’est pas le problème” et la situation actuelle au moyen orient ne serait guère différente sans l’Islam.
Ancien de la CIA, excellent spécialiste de l’islam, Graham Fuller vient de publier un livre, A World Without Islam (« Un monde sans islam »), dont il résume lui-même la conclusion principale : « Même s’il n’y avait pas eu une religion appelée islam ou un prophète nommé Mohammed, l’état des relations entre l’Occident et le Proche-Orient aujourd’hui serait plus ou moins inchangé. Cela peut paraître contre-intuitif, mais met en lumière un point essentiel : il existe une douzaine de bonnes raisons en dehors de l’islam et de la religion pour lesquelles les relations entre l’Occident et le Proche-Orient sont mauvaises (…) : les croisades (une aventure économique, sociale et géopolitique occidentale), l’impérialisme, le colonialisme, le contrôle occidental des ressources du Proche-Orient en énergie, la mise en place de dictatures pro-occidentales, les interventions politiques et militaires occidentales sans fin, les frontières redessinées, la création par l’Occident de l’Etat d’Israël, les invasions et les guerres américaines, les politiques américaines biaisées et persistantes à l’égard de la question palestinienne, etc. Rien de tout cela n’a de rapport avec l’islam. Il est vrai que les réactions de la région sont de plus en plus formulées en termes religieux et culturels, c’est-à-dire musulmans ou islamiques. Ce n’est pas surprenant. Dans chaque grand affrontement, on cherche à défendre sa cause dans les termes moraux les plus élevés. C’est ce qu’ont fait aussi bien les croisés chrétiens que le communisme avec sa “lutte pour le prolétariat international”. »
Allons-nous longtemps continuer à croire la novlangue qui répète à l’envi que “la guerre, c’est la paix” ?