Dans un article intitulé il y a le procès, la condamnation… et puis plus rien, les auteures Léa Ducré et Margot Hemmerich parlent d’une nouvelle forme de justice, une alternative à la justice privatrice.
Une critique de la justice privatrice est que son principal objectif est de punir le condamné par la privation de liberté, et de protéger la société de ce condamné … pendant sa période de privation de liberté.
La justice réparatrice a pour objectif d’amener à le condamné à comprendre son erreur, à la réparer, et à le réinsérer dans la société. Elle a donc un objectif de protection à long terme de la société par la réintégration sociale du condamné.
« Restaurative », « réparatrice » ou « restauratrice » : les termes renvoient à une autre vision de la justice. Théorisé dans les années 1990 par le criminologue américain Howard Zehr, le concept vise à réunir l’auteur des faits, la victime et la société dans un objectif de responsabilisation, de réparation et de réconciliation. Si le maintien de l’ordre public reste à la charge de l’État, le rétablissement de l’harmonie sociale reviendrait plus largement à la communauté. Celle-ci prendrait ainsi conscience du fait que l’auteur d’un crime ou d’un délit, quel que soit le temps passé en détention, a vocation à la rejoindre.
« Il y a le procès, la condamnation, et puis après… plus rien. » De nombreuses victimes essorées par la machine judiciaire partagent ce constat posé par Marie-José. Pour le psychologue Jacques Lecomte, la justice pénale poursuit trois objectifs : qualifier l’acte commis, identifier l’auteur et déterminer la sanction à appliquer. « Dans ce système, l’infracteur est incité à se défendre, à mettre en avant des circonstances atténuantes, explique-t-il. Sa défense creuse davantage le fossé entre lui et la victime. » Or ce que recherche cette dernière n’est pas la vengeance, mais que l’auteur « reconnaisse la souffrance qu’il a engendrée à travers l’acte commis et, en second lieu, qu’il s’engage à ne pas recommencer ».
« Pour nous, le procès a permis de tourner une page. Mais quelque chose n’était pas fini », dit Marie-José.
La privation de liberté, la prison, pourrait être l’occasion d’une éducation sociale là où elle n’est aujourd’hui bien souvent qu’une épreuve de survie où règne la loi du plus fort.
Aux yeux de M. François Goetz, le directeur de la maison centrale de Poissy à l’origine de ces rencontres, ces pratiques devraient être généralisées, quelle que soit l’infraction : « En prison, l’objectif premier, c’est de survivre. Il faudrait pourtant que l’enfermement offre l’occasion d’une prise de conscience. Après les sessions, les détenus acceptent bien mieux leur peine. Ils s’investissent en détention, ils font beaucoup plus de projets. »
Avec la justice privatrice, un procès et une condamnation ne règlent parfois pas le problème, mais au contraire attisent les rancoeurs et la haine. La justice réparatrice vise avant tout à rétablir le lien, à rétablir la relation, préalables nécessaires à l’apaisement des parties.
Au-delà de son manque de visibilité, la justice restaurative peut aussi susciter des craintes, tant elle remet en question le rôle du juge. L’ancien magistrat lyonnais, désormais installé à Rouen, reconnaît lui-même que, dans certaines situations, son intervention n’apporte pas de solution satisfaisante : « Trancher, je sais faire ; mais parfois le fait de trancher cause autant de dégâts que le litige lui-même. » En effet, l’intervention de la justice s’avère souvent contre-productive pour la résolution de conflits impliquant des personnes en interdépendance — voisins, famille ou collègues, par exemple. La sanction tombe, mais le conflit demeure, exacerbé. La philosophie restaurative, elle, admet que les professionnels de la justice ne peuvent agir seuls et bouscule le sens de la peine.
En droit moderne, l’infraction apparaît d’abord comme la violation d’une règle : un acte répréhensible contre l’État. C’est donc lui qui sanctionne. Un processus de justice réparatrice met l’accent sur le rétablissement des relations, sans nécessairement solliciter l’intervention de l’État.
La justice privatrice est plutôt une invention moderne qui a éclipsé des pratiques plus anciennes ancrées dans certaines communautés, comme les peuples autochtones au Canada :
Dans les années 1970, les peuples autochtones revendiquent leur droit à réhabiliter certaines pratiques de leur justice traditionnelle. Les cercles de sentence et les cercles de guérison plaçant la communauté au cœur de la résolution des conflits sont réactualisés et adoptés. Au même moment, la justice institutionnelle s’attire les critiques les plus vives. Les premières mesures de déjudiciarisation voient le jour pour les adolescents contrevenants. Les programmes restauratifs se développent rapidement, jusqu’à devenir l’essentiel des réponses alternatives proposées aux mineurs délinquants.
Les peuples modernes gagneraient à se souvenir de leurs anciennes pratiques pour panacher la justice privatrice et la justice réparatrice. Tout le monde y gagnerait : les condamnés comme les victimes, mais également la société dans son ensemble.