Dans un article intitulé le complot des anticomplotistes, Frédéric Lordon brise l’idée reçue selon laquelle les théories du complot seraient le fruit de l’imagination du peuple tandis que l’élite serait rationnelle et raisonnable.
Il estime au contraire que l’élite consacre une part non négligeable de son énergie à déjouer des complots, réels ou imaginaires, dans le seul but de se maintenir en place.
On rêverait de pouvoir observer les journées d’un patron de chaîne, d’un directeur de journal, d’un cadre dirigeant, d’un haut fonctionnaire, d’un magistrat ou d’un mandarin universitaire louchant vers le ministère, pour y chronométrer, par une sorte de taylorisme retourné à l’envoyeur, les parts de son temps respectivement consacrées à remplir la fonction et à maintenir la position. La pathétique vérité des organisations peut conduire jusqu’à cette extrémité, en fait fréquemment atteinte, où un dirigeant pourra préférer attenter aux intérêts généraux de l’institution dont il a la charge si c’est le moyen de défaire une opposition interne inquiétante ou d’obtenir la faveur décisive de son suzerain — et il y a dans ces divisions duales, celle du travail et celle du pouvoir, une source trop méconnue de la dysfonctionnalité essentielle des institutions.
Si le pouvoir corrompt, alors avec le temps, l’intérêt général tend à être supplanté par les intérêts particuliers.