Dans un article intitulé les prospérités du vice l’auteur cite bernard Mandeville - médecin et philosophe du 18ième siècle - qui nous propose une fable intitulée la fable des abeilles. Cette fable illustre le fait que la dimension individualiste du capitalisme fait partie de celui-ci depuis ses débuts, à l’inverse de l’image classique du capitalisme décrit comme “ascétique, rigoriste, autoritaire, puritain et patriarcal” par Max Weber.
Pour Mandeville, traduit en allemand dès 1761 et retraduit à l’époque de Weber, le vice, et non la vertu, se trouve à l’origine de ce qu’on appellera capitalisme. Mieux, le vice, moteur initial, parce qu’il recherche d’emblée la richesse et la puissance, produit malgré lui de la vertu. Ce dont témoigne la maxime centrale de la Fable : « Les vices privés font la vertu publique », non seulement parce qu’ils brisent les entraves morales véhiculées par les histoires édifiantes colportées de génération en génération (Mandeville, médecin, était plus précisément « médecin de l’âme », c’est-à-dire « psy » comme on dirait aujourd’hui), mais aussi parce qu’en libérant les appétits ils apportent une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société. Ce qui promet le passage d’un état de pénurie à celui d’abondance. Aussi Mandeville n’hésite-t-il pas à dire que la guerre, le vol, la prostitution et la luxure, l’alcool et les drogues, la recherche féroce du gain, la pollution (pour employer un mot contemporain), le luxe, etc., contribuent en fait au bien commun. Tous ces vices s’expriment, comme il le répète dans une formule rituelle, « à l’avantage de la société civile ».
Si “les vices privés font la vertu publique”, c’est que la mesure de la croissance est vue à travers le prisme du PIB dont la pertinence reste à démontrer. Si des accidents de voiture génèrent des soins, des réparations et des achats de voiture, ceux-ci génèrent du chiffre d’affaire pour certains mais n’augmente pas la qualité de vie globale de la société.
La dérive individualiste du néolibéralisme ne serait donc pas une dérive à corriger. Elle serait l’ADN même du libéralisme.
En redonnant à la conception mandevillienne toute sa place et en se libérant du conte wébérien, on découvre que le célèbre « nouvel esprit du capitalisme », jouisseur et hédoniste, est peut-être beaucoup plus ancien qu’on ne le croit : il a été énoncé comme le programme original du capitalisme aux prémices mêmes de la première révolution industrielle…
Si la seule mesure du progrès est la mesure économique et financière, alors on peut penser qu’en effet “les vices privés font la vertu publique”. En revanche, si le partage des richesses et le bien-être sont des notions qui font sens, alors la fable des abeilles est simplement l’illustration que l’esprit du capitalisme s’incarne dans des esprits égoïstes.