Dans un article très complet et très intéressant intitulé le vrai coût énergétique du numérique, le magazine pour la science dresse un tableau plutôt factuel du numérique.
Le sujet est traité sérieusement et de manière plus approfondie qu’à l’acoutumée. Par exemple, le chapitre “Combien consomme une box internet ?” expose les différentes manières de calculer le coût énergétique : de 0,23 microjoule à 9,9 microjoule par bit, soit un facteur 43 entre la valeur minimale et la valeur maximale. Ces variations dans la méthodologie de calcul amènent à une différence énorme. Il est donc possible de manipuler les chiffres pour leur faire dire ce qu’on souhaite…
Cette variabilité est relative à des notions de coût fixe et de coût variable. Notions qu’on retrouve également dans les réseaux : un réseau allumé et non utilisé coûte quand même en alimentation électrique, et donc en énergie. L’utilisation optimale d’un équipement électrique est atteinte quand l’équipement électrique est utilisé au maximum de ses capacités.
Au-delà du l’utilisation des réseaux, la fabrication du matériel électronique qui génère énormément de gaz à effet de serre.
Sur les tablettes présentées, on note qu’entre 6 et 14 % des émissions de gaz à effet de serre concernent la phase d’utilisation, contre 79 à 88 % pour la phase de fabrication. Ainsi, l’impact de la fabrication est tel que faire durer les équipements le plus longtemps possible est primordial.
Le principal levier dont dispose un utilisateur pour réduire l’impact lié à cet objet connecté consiste donc à allonger sa durée de vie. Même si la génération suivante de l’objet présente une meilleure efficacité énergétique en phase d’utilisation, l’impact environnemental de sa phase de fabrication restant largement prépondérant, il est préférable de garder l’ancien modèle plutôt que d’acquérir le nouveau.
Un autre exemple pertinent concerne le domaine des objets connecté, de l’IoT (Internet of Things) : pour que l’impact environnemental d’un thermostat connecté soit réparti à 50 % pendant sa fabrication et à 50 % pendant son utilisation, il faudrait que la phase d’utilisation dure 55 ans. Connaissez-vous un seul objet connecté qui soit conçu pour durer plusieurs dizaines d’années ?
De 2010 à 2015, le projet de recherche international GreenTouch, qui mêlait instituts académiques et groupes industriels, a démontré qu’il était possible de construire une infrastructure des réseaux de l’internet mondial qui réduirait de 98 % la consommation d’énergie en 2020 par rapport à celle de 2010, et ce en tenant compte de l’explosion du trafic et pour une qualité de service équivalente.
Quelle marge d’optimisation ambitieuse pour les réseaux de communication !
Ce qui est vrai pour les réseaux de communication est également vrai pour les datacenters : on devrait pouvoir éteindre très facilement nos serveurs dès qu’on ne s’en sert pas.
Avec notre collègue Issam Rais, nous avons en effet montré en 2018 qu’il suffit qu’un serveur ne soit pas utilisé pendant trois minutes pour qu’il soit intéressant de l’éteindre.
Autant il est plutôt simple de mettre en pause des conteneurs (mais alors les machines physiques de l’infrastructure restent allumées, elles) autant je ne connais pas grand monde qui arrête les serveurs physiques ou les VMs quand elles ne sont plus utilisées, même pour quelques minutes (et a minima pendant les nuits et les fins de semaine).
Les accords de Paris sur le climat nous demandent de réduire notre empreinte carbone, et on pense souvent qu’Internet va être la solution. Mais le numérique n’échappe pas à ces accords. Il est indispensable de prendre en compte ses impacts environnementaux, de les maîtriser et les réduire. Et chacun de nous peut s’engager dès maintenant sur cette voie en conjuguant chez soi efficacité énergétique, sobriété numérique et usage raisonné.
La conclusion est éloquente et entre en résonance avec les engagements de plusieurs opérateurs télécom. Les pistes d’optimisation sont nombreuses, reste à voir si les moyens qu’ils y mettront seront à la hauteur des enjeux.
Nos sociétés modernes auront-elles également le courage de renoncer à certains projets très énergivores ? L’intelligence artificielle en est un exemple flagrant : entraîner un réseau neuronal est extrêmement énergivore. Serait-on prêt à renoncer à entraîner un réseau neuronal si au final le gain s’avère être trop faible par rapport au coût énergétique ?