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pacte de responsabilité : une erreur historique

Dans un article intitulé pacte de responsabilité : une erreur historique, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, analyse l’erreur historique opérée par les gouvernements de gauche.

Economiser l’argent public est une nécessité. Utiliser ces économies pour réduire le coût du travail et les impôts constitue en revanche l’une des plus graves erreurs politiques de l’histoire sociale de la gauche. Après Lionel Jospin en 1999 - qui lance une politique de cadeaux fiscaux à grande échelle - une seconde fois, le camp du progrès social se tire une balle dans le pied. Le gouvernement a pourtant les moyens de répondre à des besoins concrets et de moderniser les services publics. Mais au fait, que peut-on faire avec les 30 milliards d’euros qui seront consacrés chaque année à diminuer les charges patronales ?

Les coupes dans les budgets sont décidées non pas en fonction de l’utilité des dépenses, mais en fonction du niveau de mobilisation de la population concernée.

Le gouvernement va piocher pour l’essentiel là où c’est le plus simple, là où les intérêts sont les moins bien représentés, non dans les dépenses qui ne servent à rien. On pourrait dégager des marges en luttant contre la fraude fiscale, en piochant dans ces niches dont le coût se chiffre toujours en milliards, dans les caisses des vendeurs de médicaments ou de l’élite des professions de santé, dans les marchés publics juteux, dans les méandres des investissements inutiles des collectivités locales. Laisser l’inflation réduire les salaires des fonctionnaires, le niveau des allocations logement ou les retraites relève de la facilité. Laisser l’inflation grignoter des revenus a l’effet d’une hausse d’impôt, qui porte sur les fonctionnaires et les titulaires de prestations, mais épargne les couches aisées du privé.

Avec l’équivalent du montant du cadeau fait aux entreprises, l’état aurait pourtant pu mener à bien de nombreux projets pour améliorer la vie des citoyens.

Que faire avec 30 milliards ?

Pour bien comprendre l’immensité du désastre, il faut parler concret. Personne ne présente ce qui aurait pu être entrepris à la place des 30 milliards de baisse du coût du travail offerte aux entreprises. Accorder un minimum social à 500 000 jeunes en grande difficulté coûterait trois milliards. Un dixième du total. Autant que la dépense annuelle pour 200 000 places de crèche. 60 000 logements sociaux annuels pèsent moins d’un milliard - financement de l’Etat et des collectivités locales compris. Une aide de 300 euros mensuels pour 300 000 personnes âgées démunies vivant en maison de retraite, c’est un milliard. L’ensemble de ces dépenses ? A peine plus d’un cinquième de ce qui partira en fumée dans le pacte de responsabilité. A la question : que ferions-nous pour la France si nous avions 30 milliards ? La réponse est vite trouvée.

On pourrait continuer la liste des urgences sociales que le secteur privé seul ne peut pas satisfaire, des transports en commun à l’environnement, en passant par la rénovation des prisons, l’accès aux soins, la modernisation des écoles, l’accès aux loisirs ou à la culture, la réduction de la dette publique. Ou prendre le problème autrement. Créez un fond de développement associatif doté de trois « petits » milliards (donc, un dixième de l’addition pacte de responsabilité), qui verserait 15 000 euros (c’est beaucoup) aux associations par an par emploi créé, à charge pour elles de trouver un complément issu de leurs activités. Vous obtenez plus de 200 000 emplois. De la culture aux loisirs, de l’aide aux jeunes ou aux aînés, de l’environnement au tourisme, les gisements du tiers secteur sont immenses.

Au final, le calcul politique de la gauche d’aller à la pêche électorale sur sa droite se révèlera un bien mauvais calcul à long terme.

Un suicide politique

Beaucoup de commentateurs trouvent astucieux qu’un Président de gauche mène une politique de droite pour couper l’herbe sous le pied de ses adversaires. Passez sur ce que cela signifie en termes de valeurs, et raisonnez comme les communicants d’aujourd’hui en termes d’opinion. Imaginez un instant l’impact politique d’un programme qui répondrait aux besoins cités plus haut chez les jeunes ou les catégories populaires et moyennes. Imaginez l’effet de ces mesures en termes de modernisation de l’offre publique et de réduction des inégalités.

Le président de la République, enfermé dans l’univers clos de l’Elysée, a commis une sorte de suicide politique. Il a déjà emporté avec lui une grande partie des élus de gauche au niveau des communes, ce sera le cas demain aux autres échelons. Il emporte surtout les espoirs de beaucoup de ceux qui ont voté pour lui - pas seulement de gauche - qui croient encore à la modernisation de notre pays et à la réforme progressiste.

Pour la première fois de l’Histoire, un gouvernement socialiste arrivé au pouvoir ne laissera derrière lui aucune conquête sociale. 1936, 1981, 1997 : à chaque fois, l’alternance aura été marquée par un progrès. Le renoncement actuel marque une étape, ouvre un boulevard électoral au Front national comme parti du changement. La droite traditionnelle a tort de se réjouir de la situation actuelle. Piégée par une politique qu’elle préconisait hier, elle s’enfonce dans une surenchère. Elle n’est pas plus capable de construire un programme conservateur qui s’adresse aux couches populaires.

Le bipartisme tant souhaité par l’UMP et le PS est en train de les mener à leur perte.