si, c'est vrai !

pour être libre politiquement, il faut être autonome matériellement

Dans un article intitulé faire durer les grèves : les leçons de l’histoire, l’auteur explique comment le rapport de force entre grévistes et dirigeants s’est modifié au cours du 20ième siècle.

Pour les travailleurs, la problématique majeure d’une grève est davantage de la faire durer que de la déclencher.

Dans les cortèges et sur les piquets de grève, une question taraude : comment subvenir aux besoins élémentaires et continuer à se nourrir, à se chauffer et se loger sans salaire ? Comment payer les factures ?

La durée moyenne des grèves n’a cessé de chuter au cours du 20ième siècle.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où les ouvriers avaient les moyens de tenir la grève. Grâce, notamment, à leur lien avec la campagne et les paysans. Leur enracinement leur offrait une meilleure capacité de résistance. Les statistiques en témoignent. De 16 jours jusqu’aux années 1930, la durée moyenne des grèves a chuté à 2,5 jours après la Seconde Guerre mondiale. Le chiffre n’a pas cessé, depuis, de baisser. « Les conflits sociaux dans le secteur privé sont désormais très courts et les grèves de plusieurs jours extrêmement rares, constate l’historien Stéphane Sirot. Elles ont laissé place à d’autres pratiques plus ponctuelles, comme la journée d’action et le débrayage, qui consiste à bloquer seulement quelques heures, voire quelques minutes la chaîne. »

Au début du 20ième siècle, “les usines étaient enchâssées dans le milieu rural”, les ouvriers et les ouvrières disposaient donc de moyens de subsistance alternatifs.

La possession personnelle d’une parcelle de terre cultivable était alors une formidable caisse de grève : elle fournissait de quoi vivre à celles et ceux qui n’avaient plus de gagne-pain. Elle permettait d’échapper à la menace du dénuement.

Souvent dotés d’un logement et d’un potager, les ouvriers et les ouvrières étaient majoritairement autonomes pour le gîte et le couvert. Leur souveraineté alimentaire étant assurée, ils pouvaient affronter une grève longue sans craindre de souffrir de la faim.

Cet enjeu avait été bien pris en compte par les ouvriers de l’époque. La souveraineté alimentaire était alors une « arme capitale de la lutte », comme l’affirmaient en 1905 les ouvriers de Longwy, en Lorraine.

Parfois même, une basse-cour permettait d’agrémenter leur alimentation d’oeufs ou de viande.

En reportage à Montceau-les-Mines, en 1901, André Bourgeois, l’envoyé spécial des Cahiers de la quinzaine, une revue dirigée alors par Charles Péguy, relevait aussi que les mineurs en grève « jouissaient de quelque aisance ». Ils possédaient la plupart leur maison et un jardin, « d’où ils tiraient légumes et fruits, des lapins, une douzaine de poules, sept ou huit canards. Ils pouvaient tenir plusieurs mois sans paye », écrivait-il.

En accroissant la dépendance des travailleurs et des travailleuses, la domination de la classe dirigeante sur le reste de la population s’est accentuée. L’urbanisation des populations, la disparition des potagers, le recours à l’emprunt pour l’achat d’un logement, le développement de l’industrie agro-alimentaire ont été des facteurs d’affaiblissement des classes laborieuses.

Il a donc fallu l’établir et briser des modes de vie autonomes pour mieux contrôler la population. Paradoxalement, ce mouvement s’est fait en lien avec les tenants du marxisme, qui pensaient qu’une conscience de classe ouvrière était nécessaire à l’avènement du « Grand Soir ».

La séparation des classes laborieuses entre la classe paysanne et la classe ouvrière s’est faite aux dépens des deux classes, pour le plus grand profit de la classe dirigeante.