Alors que le pacte écologique s’est imposé pendant quelques temps dans le paysage médiatique lors du débat des élections présidentielles, on ne peut que regretter avec un peu de recul qu’il n’ait été qu’un feu de paille. La question écologique n’a finalement jamais occupé la place qu’elle mérite, ni lors de l’élection présidentielle, ni lors des élections législatives et encore moins dans le débat politique et citoyen de tous les jours.
Malgré tout, les médias évoquent souvent la notion de développement durable. Les politiciens et les entreprises se sont engouffrés dans ce nouveau discours vert, formidable source potentielle de business aux dires de certains. Mais avant de mettre le développement durable à toute les sauces, a-t-on seulement pris le temps de définir cette notion ? S’est-on demandé si un développement à durée indéterminée pouvait être durable ? Avons-nous étudié quels types de développement étaient durables et dans quelles limites ils l’étaient ?
En théorie, le développement durable est censé permettre une croissance économique non liée à une croissance des émissions de gaz à effet de serre. Mais l’amélioration des rendements et de la productivité a dans notre société presque toujours été compensée par une croissance de l’usage et de la production aboutissant finalement à une augmentation de l’empreinte écologique. Dans un monde fini, la notion de développement durable est un oxymore. Il faut donc aller au-delà de cette notion de développement durable, la croissance économique propre - sans croissance de l’empreinte écologique - reste encore à inventer !
Le pacte écologique et cette notion de développement durable sont bien commodes pour se donner bonne conscience à peu de frais. On est prêt à signifier son engagement en faveur de l’environnement du moment qu’il n’est pas nécessaire de changer quoi que ce soit à son mode de vie. En clair, on veut bien changer la société du moment qu’on ne change rien à son quotidien. Si chacun pense ainsi, il sera difficile de faire changer tout le monde.
Depuis les débuts de l’ère industrielle, on constate une forte corrélation entre la croissance économique (la croissance du PIB) et la croissance des émissions de gaz à effet de serre (en quelque sorte la croissance de la pollution). En France, pays où 1 emploi sur 10 est directement ou indirectement lié à l’industrie automobile, comment concilier des objectifs de plein emploi qui constituent l’essentiel des programmes des grands partis politiques et les objectifs du protocole de Kyoto dont le principal chapitre consiste en la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Dans quelle mesure la croissance économique est-elle compatible avec la préservation de notre environnement ?
La majorité des politiciens n’aborde pas la question écologique dans sa globalité, ni sa capacité à s’intégrer à notre monde actuel : économique, industriel, financiarisé, globalisé. Il est effarant de constater à quel point nombre de nos politiciens sont schizophrènes :
- défendre la grande cause nationale écologique tout en promouvant la création d’un parking en centre ville
- faire l’éloge d’Airbus tout en se disant très concerné par les objectifs de Kyoto
- promettre l’augmentation du pouvoir d’achat tout en affirmant que le développement durable est une urgence et une nécessité
Cette liste d’auto-contradictions dans les discours des politiciens pourrait probablement être complétée à volonté tant elle semble être infinie. D’une manière générale, les programmes des grands partis politiques ne présentent pas de réelle cohérence. Ils ressemblent plutôt à une liste de faveurs savamment accordées à quelques groupes d’intérêt sans véritable projet global ou vision pour notre avenir local, national, européen et mondial.
Or les politiciens sont à l’image de leurs électeurs : ils ne sont généralement ni plus informés, ni plus préoccupés qu’eux, c’est à dire nous. En outre, dans le but d’être élus, ils cherchent à répondre aux aspirations de leurs électeurs, les meilleures comme les pires aspirations. Nous ne pouvons donc exiger de nos politiciens ce que nous n’exigeons pas de nous-même.
Si la question écologique est aussi l’affaire des politiciens et des entreprises, elle est avant tout l’affaire de chaque citoyen. Chacun d’entre nous doit se poser la question de ce qu’il est prêt à changer dans son quotidien, de ce qu’il est prêt à réduire et de ce qu’il est prêt à arrêter !
Alors que plus de 70% des Français souhaitent habiter en maison individuelle et que l’objectif de beaucoup d’entre eux est de changer de voiture pour en acheter une plus grande et plus puissante, la tendance de la société française n’est pas à la diminution de son empreinte écologique. Le chemin est long vers un changement de mentalité. La défense du pouvoir d’achat (encore un élément essentiel des programmes des grands partis politiques) doit s’effacer au profit de la recherche d’un certain niveau de vie, voir mieux : de la qualité de vie.
Nous avons tous nos contradictions. Mais plutôt que les remiser au placard pour essayer de ne plus y penser, nous ferions mieux de les affronter et d’y réfléchir à l’aune de la question écologique. Plutôt que de trier ses déchets, ne vaut-il mieux pas essayer d’utiliser moins d’emballages ? N’est-ce pas souhaitable de tenter de ne pas polluer au lieu d’engager de larges campagnes de dépollution ? D’une manière générale, n’est-il pas préférable de réduire les nuisances à la source plutôt que d’effectuer un traitement couteux par la suite ? Le principe de précaution et la prévention sont parmi les défis de ce siècle, et ces défis nous imposent de remettre en cause notre mode de vie actuel.
Il faut bouleverser notre système de valeurs et repenser, hiérarchiser nos besoins. C’est en se recentrant sur l’essentiel que nous aboutirons à diminuer notre empreinte écologique. Ce processus de refondation de notre système de valeurs est avant tout un processus individuel même s’il doit ensuite s’inscrire dans un processus plus global de re-hiérarchisation des normes. La hiérarchie des normes est en effet la question centrale d’un projet de société.
Ce travail, cet effort individuel et collectif est nécessaire et prioritaire afin de préserver les générations futures. Les générations futures en question ne sont pas les petits enfants de nos petits enfants, ce sont les enfants d’aujourd’hui, ceux nés au 21ième siècle ! Nous avons chacun cette responsabilité envers les jeunes générations et celles à venir.
Allons-nous attendre les premières catastrophes liées au changement climatique ou les premières pénuries énergétiques ? Compte-tenu de l’inertie de l’écosystème planétaire, il serait déjà trop tard pour éviter le pire. A travers la remise en cause de notre mode de vie individuel, c’est au final à une remise en question de notre société qu’on doit aboutir.
Si chacun d’entre nous ne mène pas cette réflexion dès maintenant, la nature et la nature humaine se chargeront de transformer notre monde actuel en un monde qui relèvera plutôt de nos pires cauchemars que de nos plus beaux rêves…
Pour poursuivre cette réflexion, n’hésitez pas à lire le plein s’il vous plait !, un excellent livre de Jean-Marc Jancovici publié aux éditions du Seuil.