En France comme en Europe, le vote électronique est parfois présenté comme un remède à une démocratie en perte de vitesse où le taux de participation aux élections baisse régulièrement.
L’abstention n’est probablement pas due au type de scrutin, mais le fait est que le vote électronique bénéficie de cette image de solution miracle.
Cependant, plusieurs voix s’élèvent pour contester cette image faussée du vote électronique. Selon ses détracteurs, les bénéfices supposés du vote électronique ne font pas le poids face aux dangers qu’il induit.
Examinons de plus près les avantages et inconvénients du vote électronique.
une rapide description
Tout d’abord, le vote électronique recouvre plusieurs types de vote. Leur point commun est d’utiliser un système informatique pour recueillir et compter les votes.
- La forme la plus commune du vote électronique consiste à placer un ordinateur de vote dans chaque isoloir et à amener le citoyen à exprimer son vote en appuyant sur un bouton. Ce type de vote a été pratiqué en France dans plusieurs communes lors des dernières élections.
- Le vote électronique peut également consister à voter à distance, depuis un ordinateur personnel relié à internet ou depuis un téléphone mobile.
Dans chaque pays où le vote électronique a été expérimenté (Hollande, Irelande, Belgique, France, Allemagne, Estonie, Suisse), il a fait l’objet de nombreuses réclamations diminuant d’autant la légitimité du scrutin incriminé.
les principes du vote
La légitimité du vote - électronique ou non - repose sur 3 principes :
- le secret du vote
- il permet des élections libre
- le choix du vote ne doit avoir aucune conséquence sur le citoyen votant
- le vote ne doit pouvoir être vendu ni acheté
- l’auditabilité du processus de vote
- les mesures d’assurance qualité doivent permettre d’identifier et de corriger les erreurs
- l’auditabilité doit permettre le recompte des voies
- l’auditabilité ne peut se substituer à la transparence
- la transparence du processus de vote
- assurance que le vote est conforme aux lois et mené selon les principes en vigueur, chacun doit pouvoir s’en assurer
- la transparence crée la confiance des citoyens, donc la légitimité du vote
- permet de limiter la contestation du vote
- la transparence ne peut être déléguée à une autorité
les avantages du vote électronique
Le vote électronique est autant plébiscité pour de mauvaises raisons que pour de bonnes raisons.
Les mauvaises raisons :
- C’est plus rapide à dépouiller.
- Les quelques heures nécessaires aux dépouillements sont-elles si importantes ? Est-ce crucial de pouvoir annoncer les résultats le soir même ? N’est-ce pas au contraire important d’impliquer les citoyens dans le processus de dépouillement ?
- C’est moins cher.
- Le prix d’un ordinateur de vote est de plusieurs milliers d’euros et sa durée de vie est limitée à quelques années. Par ailleurs, l’impression des bulletins de vote ne représente qu’environ 10% du coût de l’impression global pour une élection (en tenant compte des professions de foi et autres documents imprimés à cette occasion)
- C’est plus écologique.
- Argument à rapprocher du précédent. Si l’argument écologique est si important, il serait bien mieux défendu en s’attaquant aux publicités imprimées à tour de bras dans les boites aux lettres. Ne nous trompons pas de combat.
Les bonnes raisons :
- meilleure expression du citoyen par l’utilisation de mécanismes plus élaboré (comme la méthode Condorcet)
- ben en fait, c’est la seule bonne raison, mais il est vrai qu’elle est de taille !
les inconvénients du vote électronique
Le vote traditionnel possède des caractéristiques simples mais essentielles :
- l’urne est un périphérique passif
- l’urne ne fait pas de traitement : ce qui entre dans l’urne est ce qui sort de l’urne
- l’urne est littéralement transparente et toutes les manipulations sont publiquement effectuées
Le vote électronique ne dispose pas de ces caractéristiques essentielles :
- l’ordinateur de vote est un périphérique actif
- l’ordinateur de vote effectue des traitements : ce qui rentre dans l’ordinateur de vote peut être différent de ce qui en sort
- le traitement n’est pas observable (même si l’ordinateur de vote utilise un logiciel libre)
des palliatifs pour légitimer le vote électronique ?
Pour pallier ces faiblesses, les défenseurs du vote électronique ont imaginé 2 mécanismes censés renforcer la légitimité du vote électronique :
- la production d’une preuve physique du vote, pour garantir l’auditabilité du processus de vote
- l’utilisation de technologies de chiffrement, pour garantir le secret du vote
production d’une preuve physique
La production d’une preuve physique consiste à imprimer un bulletin papier, vérifié par le citoyen avant d’être glissé dans une urne, comme pour le vote classique. Ce mécanisme présente cependant plusieurs problèmes :
- Si la contestation du vote électronique est fréquente, il faut recompter toutes les preuves physiques et on perd tous les avantages du vote électronique (que ces avantages soient les bonnes ou les mauvaises raisons) alors que les citoyens ne sont a priori pas mobilisés pour ce recomptage (puisque l’ordinateur de vote est censé être là pour ça).
- Si le résultat du recomptage des preuves physiques donne un résultat différent de celui de l’ordinateur de vote, lequel prendre en compte ? Si on prend en compte le recomptage des preuves physiques, on admet implicitement que le vote électronique est moins fiable…
- Si on réalise un recomptage d’un échantillon de preuves physiques, qui décide des bureaux de vote à auditer ? Qui décide de la manière de déterminer l’échantillon, de la taille minimale de l’échantillon (les élections se jouent parfois à peu de chose près) ? Qui est en charge de la gestion des preuves physiques ?
Une fraude réussie est indétectable. Une fraude légère et discrète est suffisante pour avoir des conséquences importantes sur le résultat du scrutin.
chiffrement de la preuve physique
Plusieurs études se sont intéressées à l’utilisation de mécanismes de chiffrement pour garantir le secret du vote, mais ce chiffrement n’a de sens que dans le cadre de la production d’une preuve physique.
Par ailleurs, l’utilisation des technologies de chiffrement rend le processus complexe et non transparent. C’est un difficile équilibre entre respect de la transparence et respect du secret du vote, l’auditabilité étant déléguée à des experts du chiffrement.
En cas de contestation, peu de personnes seront capables d’évaluer l’intégrité du vote et sa légitimité. L’auditabilité du processus de vote n’est plus accessible à tous les citoyens, elle devient une bataille d’experts.
combinaison des deux mécanismes
La preuve physique peut également être conservée par le citoyen qui pourra par la suite effectuer une vérification sur un listing imprimé.
- Cette solution combine les deux mécanismes précédents en ce sens qu’il implique la production d’une preuve physique anonymisée par un mécanisme de chiffrage de l’identité du citoyen.
- Cette solution permet de vérifier que le vote a été comptabilisé et qu’il correspond bien au vote exprimé par le citoyen.
Cette combinaison des deux mécanismes n’apporte cependant pas toute les garanties souhaitées car elle ne permet pas :
- le respect du secret (en récupérant la preuve physique on peut savoir quel vote a été exprimé, on peut donc vendre son vote ou contraindre le citoyen à voter de telle ou telle manière)
- la prévention du bourrage électronique du vote en ajoutant des votes fictifs et en faisant pointer plusieurs preuves physiques sur le même vote exprimé
- le recomptage des votes exprimés
conclusion
Les études les plus avancées dans le domaine du vote électronique utilisent les technologies de chiffrement pour garantir le secret. Parallèlement, tous les efforts d’amélioration de l’auditabilité et de la transparence fragilisent le secret du vote.
Un vote électronique évolué pourrait présenter l’avantage d’utiliser la méthode Condorcet. Il n’est cependant pas souhaitable de proposer ce type de vote s’il n’est pas possible de garantir dans le même temps la transparence de ce dernier. En effet, la perte de légitimité d’un tel scrutin aurait pour effet de saper les bases même de la démocratie. Aujourd’hui, les avantages procurés par le vote électronique sont mineurs par rapport aux inconvénients qu’il induit.
Ce billet traite principalement du vote à bulletin secret qui est le plus délicat à transposer dans le cadre du vote électronique car il nécessite de garantir le secret du vote. Or, en France, pour les raisons exposées au début de ce billet, la quasi-totalité des scrutins sont à bulletin secret. Le vote à bulletin public n’amènerait probablement pas la même réponse vis-à-vis du vote électronique.
Ce billet est librement inspiré de la présentation d’Ulrich Wiesner lors de la 25c3, 25e édition du CCC.