si, c'est vrai !

chiffrement, vie privée, police, justice et état

Dans un échange avec une journaliste, un informaticien expert judiciaire expose sa vision du chiffrement, de la vie privée, de la police, de la justice et de l’état.

Selon lui, les forces au service de l’état se sont toujours plaintes d’un manque de moyens, jusqu’à ce qu’elles imaginent un changement de paradigme.

Les policiers se plaignaient de ne pas avoir assez de voitures puissantes pour poursuivre les malfaiteurs. Jusqu’au moment où ils se sont mis à les attendre aux péages d’autoroute. C’est toujours une course entre le chat et la souris […]

La surveillance généralisée est une impasse stérile qui porte en elle la possibilité d’une déviance vers l’abus de pouvoir.

Je ne crois pas en la réalité d’un État bienveillant qui surveille en masse ces citoyens pour le bien de tous. L’Histoire a plutôt démontré que ce type d’État dérive toujours très vite vers des abus en tout genre.

Quand l’exécutif d’un état s’octroie autant de pouvoir, il en arrive à oublier un principe fondamental en démocratie : la séparation des pouvoirs.

La séparation des pouvoirs est le fait dans la constitution d’un État de distinguer certaines fonctions ou missions de l’État, et d’en confier l’exercice exclusif à différents corps de ce dernier, appelés pouvoirs. La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire est le principe fondamental des démocraties représentatives. A contrario, les régimes dictatoriaux ou tyranniques se définissent par la concentration, en général dans la main du pouvoir exécutif, de tous les pouvoirs.

Quels sont les recours dont disposent les pouvoirs législatifs et judiciaires dans le cadre des dernières lois liées à la surveillance de masse ?

Quis custodiet ipsos custodes ?

Mais qui gardera ces gardiens ?

une défense peu convaincante des accords commerciaux

Dans un article intitulé une défense peu convaincante des accords commerciaux, Dani Rodrik démonte quelques arguments des promoteurs de ces accords commerciaux.

Il constate avec étonnement que les arguments utilisés se contredisent les uns les autres :

Les objectifs que défendent ces raisonnements sont mutuellement contradictoires. Du point de vue de l’avantage comparatif, les gains issus des échanges commerciaux proviennent des importations ; les exportations sont ce que les pays doivent consentir pour obtenir ces gains. Tous les pays bénéficient de ces gains à condition que les échanges augmentent de manière équilibrée. Les accords commerciaux ne créent pas d’emplois, ils ne font que les redistribuer d’une industrie à l’autre.

Du point de vue mercantiliste, c’est le contraire, les exportations sont une bonne chose et les importations une mauvaise. Les pays qui parviennent à faire progresser leurs exportations nettes gagnent ; tous les autres perdent. Les accords commerciaux peuvent créer des emplois, mais seulement dans la mesure où ils détruisent des emplois dans d’autres pays.

Chaque argument en faveur des accords commerciaux est donc incompatible avec l’affirmation fondamentale de leurs défenseurs voulant que de tels accords puissent à la fois créer des emplois et être mutuellement bénéfiques. Curieusement, les partisans du TPP et du TTIP avancent simultanément ces deux arguments.

Diminution de la souveraineté des pays et atteintes à l’environnement sont des conséquences prévisibles de ces accords commerciaux :

Dans le cas du TTIP, la réduction des barrières commerciales non tarifaires entre les États-Unis et l’Europe restreindra sans aucun doute la capacité des États à légiférer. Même si l’harmonisation des réglementations ne se traduit pas par un nivellement vers le bas, les intérêts des investisseurs et exportateurs porteront plus que jamais préjudice aux objectifs sociaux et environnementaux.

Et le pire pourrait bien être le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS en anglais) :

Dans tous ces domaines, le TPP et le TTIP ressemblent plus à un putsch des entreprises multinationales qu’au libéralisme.

Enfin, il faut garder à l’esprit que la Chine ne fait partie d’aucun des deux projets d’accord commercial avec les Etats-Unis. Habile stratégie géopolitique ?

Négocier ces règles sans la participation de la Chine peut être perçu comme une stratégie visant à amener la Chine à se joindre à un système commercial libéral. Mais cette approche peut également être considérée comme une manière d’isoler la Chine et d’ériger des barrières discriminatoires contre ses marchés lucratifs.

Dani Rodrik réclame un processus d’élaboration transparent et un débat critique ouvert à l’opinion publique.

Grèce : petit guide contre les bobards médiatiques

Un article de l’association Attac intitulé Grèce : petit guide contre les bobards médiatiques s’emploie à démonter quelques idées reçues concernant la Grèce :

  • idée reçue n°1 : annuler la dette grecque : 636 € par Français ?
  • idée reçue n°2 : quand on doit, on rembourse ?
  • idée reçue n°3 : les Grecs se sont goinfrés, ils doivent payer ?
  • idée reçue n°4 : on a aidé les Grecs, ils doivent nous remercier ?
  • idée reçue n°5 : la Grèce doit poursuivre les réformes engagées ?
  • idée reçue n°6 : l’austérité, c’est dur mais ça finit par marcher ?
  • idée reçue n°7 : une cure d’austérité, c’est pas la mort ?
  • idée reçue n°8 : de toutes façons la Grèce a déjà capitulé ?

Et pour chaque idée reçue, l’article s’arrête sur les points suivants :

  • le discours officiel sur la Grèce
  • pourquoi c’est faux ?
  • quelles leçons pour la France et l’Europe ?

Un bon article qui permet de voir la crise grecque sous un angle différent.

qu'est-ce que la démocratie ?

Dans un article intitulé qu’est-ce que la démocratie ? (ou une analyse préliminaire de la loi Renseignement), un avocat de formation analyse les effets de la loi Renseignement sur la démocratie en France.

Sa réponse de juriste est éclairante :

[…] pour vous offrir une réponse de juriste (et en effet, à la fin des fins, la démocratie est bien une affaire juridique), ce qui définit la démocratie, c’est quelque chose de plus conceptuel : la prévalence de la règle de droit sur l’arbitraire. En d’autres termes, le recours systématique à la norme, et même à une hiérarchie des normes, tant dans les relations entre individus que dans celles qu’ils entretiennent avec l’État, plutôt qu’à la loi du plus fort ou aux desiderata, aussi inspirés soient-ils, de la puissance publique.

Le billet précédent, intitulé en finir avec l’Europe indiquait justement que “cette diminution de la démocratie devrait être compensée par plus de règle, par plus d’arbitraire en quelque sorte”. La question de l’arbitraire est donc plus que jamais d’actualité !

Pour être plus concret, la liberté d’expression et la séparation des pouvoirs sont des piliers de la démocratie :

Le multipartisme est garanti non pas pour faire joli, mais parce que la norme « suffrage universel » est subordonnée à une autre norme, qui lui est supérieure, celle de la liberté d’opinion et d’expression. Et l’État de droit est mis en place parce qu’il n’existe aucune raison de faire échapper la puissance publique à la rationalité de la norme.

On comprend mieux l’attachement de Montesquieu à la séparation des pouvoirs : si l’édiction, l’application et le contrôle de la loi sont confiés aux mêmes personnes, construire tout un système basé sur la règle de droit relève de la farce politique – surtout lorsque la règle en question touche à des normes préexistantes auxquelles le régime accorde, en théorie du moins, une importance particulière.

La loi Renseignement est un pied dans la porte de ces deux principes fondamentaux :

Les mesures proposées portent une atteinte sérieuse au respect de la vie privée que les citoyens sont en droit d’attendre de leur prochain et surtout de l’État. Cette règle se place au sommet de la hiérarchie des normes pour une raison simple : si l’État peut inspecter à tout moment ce que les citoyens communiquent, écrivent ou même pensent, l’application de la règle de droit devient pour le moins déséquilibrée.

Quant à la procédure envisagée, elle constitue sans conteste une entorse importante au principe de séparation des pouvoirs, puisqu’elle met l’application et le contrôle de la règle entre des mains sinon identiques, du moins intimement liées, puisque toutes deux filles de l’exécutif.

Pour autant, on ne bascule pas d’un jour à l’autre (le jour de la proclamation de la loi) d’une démocratie vers une non-démocratie :

[…] la démocratie n’est pas une affaire binaire mais une question de degré : plus les rapports seront soumis au droit et les pouvoirs clairement séparés, plus un régime pourra être qualifié de démocratique ; et inversement, à chaque fois qu’un régime exclura certains rapports de la règle de droit ou soustraira certaines missions à la séparation des pouvoirs, il deviendra un peu moins démocratique.

Le jour où la loi sera proclamée, on se réveillera dans un pays un peu moins démocratique que la veille…

en finir avec l'Europe

Cédric Durand est l’auteur d’un ouvrage intitulé “en finir avec l’Europe”. Dans une interview avec Pascale Fourier (partie 1, partie 2), Cédric Durand nous propose une critique radicale de gauche de l’Union Européenne.

Il affirme que l’Union Européenne actuelle est un projet de classe :

[…] l’Union Européenne telle qu’elle s’est construite est un projet de classe. Ce n’est pas un projet qui est neutre, qui serait uniquement le passage d’un échelon de gouvernement à un autre. C’est, à l’occasion de ce changement d’échelle, un changement de la nature sociale des institutions politiques qui se mettent en place.

Pour faire simple, l’idée-clé est qu’il y a eu, au lendemain de l’après-guerre, la construction d’un « capitalisme démocratique », une forme de compromis social entre les exigences du capitalisme d’un côté, et d’un autre côté la force du mouvement ouvrier, sa capacité à obtenir des nouveaux droits, des améliorations régulières du niveau de vie. Que ce compromis est entré en crise dans les années 1970, pour plusieurs facteurs, on pourra revenir dessus. D’une certaine façon, le néolibéralisme est une manière de casser ce compromis. Et en Europe, là où ce compromis a été le plus loin, là où les droits sociaux étaient les plus avancés, la casse de ce compromis est passée par ce changement d’échelle relancé autour du milieu des années 1980 autour du Marché unique.

En outre, c’est un projet qui tend vers moins de démocratie :

Il s’ancre aussi dans l’ordolibéralisme, construit sur la base d’une tradition fortement développée en Allemagne : il faut limiter la démocratie pour ne pas mettre en danger le processus d’accumulation du capital. Et cette velléité de limiter la démocratie, d’encadrer la démocratie, apparaît juridiquement dès le traité de Rome. Dans celui-ci, la primauté accordée à la concurrence est d’ores et déjà une limite importante à la démocratie.

Le rapport de force dans les années 80 était fortement en défaveur des mouvements sociaux. Ils n’ont pas conséquent jamais eu voix au chapitre lors de la construction européenne :

Lorsque la construction européenne a été relancée dans les années 1980, elle s’est faite dans un cadre dans lequel les mouvements sociaux, les luttes, la Gauche plus généralement, n’avait pratiquement aucun poids, aucune capacité d’intervention directe. On peut parler de sélectivité, d’une certaine façon, dans la construction de l’Etat, du proto-Etat si l’on parle de l’union Européenne. Et les questions qui ont été sélectionnées comme pertinentes, les réponses qui ont été sélectionnées comme pertinentes, ne faisaient aucune place aux exigences de ce qu’on peut appeler les classes populaires au sens le plus large, le mouvement ouvrier – mais on pourrait élargir aussi à d’autres questions démocratiques et sociales, comme les questions antiracistes ou les questions écologiques, qui ont certes une certaine place au niveau européen, mais relativement limitée.

Voici peut-être le point-clé : la relance de la construction européenne dans les années 1980, 1990 et 2000 pour aller jusque-là, se fait dans un contexte d’hégémonie absolue du capital transnational […]

Cela explique que certaines questions sont totalement absentes du projet européen :

N’étant pas présentes au début, [les classes subalternes] n’ont pas pu soulever des questions qui étaient légitimes à ce niveau-là. Ces questions, comme le droit du travail, les procédures démocratiques, comme la protection sociale, les services publics… sont quasiment absentes de l’échelle européens. […] il n’y avait pas d’agenda qui correspondait aux demandes des classes subalternes. Et donc il y a un processus d’exclusion, de marginalisation de ces classes subalternes, au niveau européen, qui se renforce.

Et un projet qui ne répond pas aux aspirations des peuples est un projet bien fragile :

Mais, paradoxalement, c’est aussi une des raisons de cette fragilité du projet européen, que l’on a vue avec la crise de l’Euro qui a eu lieu autour de 2010. La question-même de l’existence de ce projet européen a été posée. Bien sûr il y a eu une résilience, bien sûr la Banque Centrale a réussi à contenir ses contradictions pour un temps, mais ça a révélé cette fragilité de l’Union Européenne. Et cette fragilité, le fait que ce n’est pas véritablement un Etat, que c’est un projet étatique inachevé, est le résultat paradoxal du succès des classes dominantes à rétablir leur projet : en réussissant à mettre en place un projet qui va complètement dans le sens de leurs intérêts, elles se coupent des moyens d’incorporer les classes subalternes. Une certaine exclusion des classes subalternes au niveau européen sape d’une certaine façon les fondements de l’UE, sa capacité à s’instaurer dans la durée.

La sélection des questions gérées au niveau européen et de celles gérées aux niveaux nationaux a introduit une sorte de hiérarchie des normes implicite :

[…] la priorité aux questions de la monnaie, de la concurrence, du commerce au niveau européen, implique un ajustement des autres règles à ces trois exigences au niveau européen. C’est peut-être une idée un peu compliquée à faire passer, mais qui est extrêmement importante : en construisant ces sélectivités au niveau européen, en sélectionnant ces questions primordiales et en changeant d’échelle, on a introduit une hiérarchie. Auparavant, ces questions de commerce, de concurrence, de monnaie, étaient traitées au niveau des différents Etats-Nations avec parallèlement des questions comme le droit du travail, la protection sociale, etc. En construisant le niveau européen et en ne sélectionnant que ces questions à ce niveau-là, eh bien on les a mis au-dessus ! On a instauré une hiérarchie entre les différentes questions.

Que faut-il voir ? C’est que le niveau européen intervient sur les questions de protection sociale, intervient sur les questions de norme du travail, mais il intervient toujours en en faisant une variable d’ajustement par rapport aux exigences qui sont formulées préalablement. Et c’est à cela qu’on assiste depuis 2008, à la fin de ce qui était le modèle social européen. C’est Mario Dragui qui l’annonçait il y a deux ans maintenant au Wall Street journal : le modèle social européen est mort, disait-il. Et d’une certaine façon, le grand acquis de la crise, c’est de casser, de déstructurer, au nom de la stabilité financière et de la compétitivité, les compromis sociaux qui existaient dans la période précédente. Et cette casse est permise justement grâce à cette hiérarchisation des questions.

Et les contraintes qui pèsent sur l’Europe vont nous mener à encore moins de démocratie :

[…] on a une contrainte telle que la préservation de la construction européenne implique une diminution encore plus forte des processus démocratiques.

Cette diminution de la démocratie devrait être compensée par plus de règle, par plus d’arbitraire en quelque sorte :

C’est le cœur du projet néolibéral : gouverner par les règles. Wolfgang Streck dont j’évoquais le nom tout à l’heure et son concept de « capitalisme démocratique »- et de sa crise -, parle de la vie politique aujourd’hui comme d’une distraction pour les middle classes. Pourquoi dit-il cela? Parce qu’effectivement, entre les deux options politiques que sont aux Etats-Unis les républicains ou les démocrates, ou l’UMP et le PS en France, bien sûr il y a des nuances, mais ce ne sont que des nuances… Ce ne sont plus du tout des oppositions de projet. De ce point de vue-là, la politique, au sens « confrontation de projets », « confrontation d’ambitions », perd absolument sa substance.

Selon lui, l’Union Européenne n’est pas en mesure d’apporter du progrès social sur la base des fondements actuels :

[…] il n’y aura pas, dans le cadre des institutions européennes telles qu’elles existent, de programme d’émancipation tel qu’on l’ entend généralement dans la gauche radicale, c’est-à-dire un programme qui favorise l’égalité, qui garantisse un niveau de protection sociale élevé, qui organise une transition écologique…

La seule solution est à ses yeux la rupture avec l’Union Européenne actuelle :

[…] je suis partisan de la [rupture avec l’institution européenne], pour lutter contre les nationalismes. Aujourd’hui, les nationalismes grandissent en partie autour de cette question européenne.

Mais si l’on veut que cette rupture soit compris et soutenue, il importe d’en expliquer les raisons :

[…] il faut à mon sens, sans ambiguïté, expliquer et dénoncer la nature de classe du projet européen tel qu’il s’incarne aujourd’hui et assumer le fait que tout projet émancipateur conduirait à rompre avec ces institutions-là. Rompre pour aussitôt après, ou en même temps, proposer aux autres peuples d’autres formes d’intégration solidaire, des projets communs, une monnaie peut-être commune et non pas unique, des projets d’investissement dans la transition écologique et environnementale, une position commune sur la scène internationale, etc.

La difficulté pour construire un discours de gauche alternatif, c’est qu’aujourd’hui il n’y a pas de marges de manœuvre pour des demi-mesures. Il faut rompre avec la libre circulation des capitaux, le chantage permanent qu’instaure le capital sur les Etats et sur les salariés.

Il faut rompre avec le libre-échange, dans une certaine mesure, de façon à pouvoir reconstruire des compromis sociaux à l’échelle nationale. Rompre avec le libre-échange, ça ne veut pas dire l’autarcie : c’est réguler les rapports entre les différentes économies et l’économie mondiale.

Cette critique radicale de gauche de l’Union Européenne invite à une rupture franche vis-à-vis du projet actuel d’intégration européenne.

rien à cacher

Dans un article intitulé rien à cacher, Laurent Chemla propose une réponse à apporter à ceux qui ne voient pas l’intérêt de défendre leur vie privée au prétexte qu’ils n’ont “rien à cacher”.

Selon lui, ce qu’il faut retenir des révélations d’Edward Snowden, l’information principale du programme PRISM et de ses suites, c’est que “l’information recherchée n’est pas ce que nous disons, mais à qui nous le disons”.

Et finalement,“la question n’est plus pourquoi doit-on se protéger, mais bien pourquoi doit-on protéger ceux avec qui on échange”.

à quoi sert la critique des médias ?

À quoi sert la critique des médias ? C’est la question que pose Serge Halimi dans le cadre de la première journée de la critique des médias.

Il cite dans cet article Françoise Giroud :

Journaliste, je dépends de ceux qui possèdent les journaux. Attendre des représentants du capital qu’ils vous fournissent gracieusement des armes - c’est-à-dire en l’occurrence des journaux - pour s’élever contre une forme de société qui leur convient, et une morale qui est la leur, cela porte un nom : l’imbécillité. Mais la plupart de ceux qui travaillent dans les grands journaux sont, en gros, d’accord avec cette société et cette morale. Ils ne sont pas achetés ; ils sont acquis. La nuance est importante. Ceux qui ne sont pas achetés peuvent, en théorie, créer d’autres organes pour exprimer leurs vues. En pratique, les fonds nécessaires à la création d’une telle entreprise ne se trouvent pas dans les poches des révolutionnaires.

Serge Halimi ajoute : “mais, depuis quinze ans, quelque chose d’autre s’est modifié. Les industriels et banquiers s’emparent de la presse même si ça ne leur rapporte plus rien”. Si le retour financier sur investissement n’est pas intéressant, le retour médiatique sur investissement l’est beaucoup plus : les journalistes acquis hésitent beaucoup plus à attaquer un grand propriétaire de presse, ou son groupe médiatico-financier.

De plus en plus, “des rapports étroits existent entre politiques et médias”. Et par conséquent, “la connivence, plus que la concurrence ou l’émulation, marquent le monde du journalisme”.

Sa proposition est d’aller plus loin que la critique en formulant des propositions irrécupérables, comme par exemple celle d’un projet pour une presse libre.

projet pour une presse libre

Dans un article intitulé projet pour une presse libre, Pierre Rimbert fait suite à l’article intitulé aides à la presse, un scandale qui dure dont l’objet était de montrer que la presse papier survivait grâce aux aides de l’état, aides distribuées sans discernement.

Pointer les défaillances du modèle actuel était le sujet du premier article. Le second article tente de proposer des solutions pour rénover le système. Le défi est à la hauteur des ambitions : il s’agit de soustraire la presse à la loi du marché, donc des financeurs privés, mais également aux pouvoirs publics, donc d’un financeur public.

Si la vente au numéro et les abonnements ne permettent pas de couvrir les coûts, il convient de trouver une solution de financement complémentaire afin d’équilibrer les comptes des publications. L’objectif avoué est de garantir la pérennité d’une pluralité de publications, assurant une diversité de points de vue afin d’enrichir la vie publique et le débat d’idées. Cette diversité est nécessaire à la formation des jugements politiques, elle concourt à forger des esprits libres. La démocratie s’épanouit dans le dissensus.

La solution est le financement de la presse par la cotisation : payée directement par les travailleurs, la cotisation échappe au contrôle des pouvoirs privés autant qu’elle échappe au contrôle des pouvoirs publics.

Contrairement à l’impôt, la cotisation socialise une partie de la richesse produite par le travail avant que les salaires ne soient payés et le capital rémunéré. Versée aux caisses (santé, retraite, famille), elle n’entre pas plus dans les budgets de l’Etat qu’elle ne sert de support spéculatif.

Cette cotisation information alimenterait un service commun d’information, mutualisant les moyens de production et de distribution des publications, que ce soit sous forme papier ou numérique. Ce service commun serait évidemment réservé aux publications à vocation d’information générale et politique, excluant ainsi les publications récréatives de divertissement qui assumeraient alors leur statut de marchandise.

aides à la presse, un scandale qui dure

Dans un article intitulé aides à la presse, un scandale qui dure, Sébastien Fontenelle révèle un problème qui n’est pourtant pas nouveau.

Ces aides de l’état à la presse sont censées favoriser la pluralité de la presse, et donc la diversité des opinions nécessaire à la vitalité de la vie publique. Le montant de ces aides est en constante augmentation et représente près de 14 % du chiffres d’affaire du secteur à travers des aides directes (aides au développement, à la diffusion, subvention aux publications à faibles ressources publicitaires) ou indirectes (taux de TVA réduit, exonération de taxe professionnelle, tarifs postaux préférentiels).

La survie de la plupart des titres d’information générale et politique dépend déjà étroitement du maintien de cette perfusion d’argent public.

Selon plusieurs rapports de la Cour des comptes, les aides sont attribuées sans discernement à des publications extrêmement disparates, sans tenir compte de la tendance à la concentration des publications : quelques grands groupes de presse concentrent un très grand nombre de publications. Autrement dit, personne ne contrôle le rapport coût/bénéfice de ces aides. Et tous les rapports de la Cour des comptes (1985, 1995, 2013) sont d’une égale sévérité sur le fonctionnement de ces subventions publiques.

Ainsi, les publications qui reçoivent le plus d’aide de la part de l’état, sont aussi les premières à l’accuser d’être trop dépensier. D’autres publications ne participent pas - de part leur contenu éditorial - à la pluralité de la presse ou à la diversité des opinions. On décèle facilement les anomalies dans la répartition des aides de l’état :

  • le quotidien le Monde : 18 millions d’euros (moyenne par année de 2009 à 2013)
  • le quotidien le Figaro : 17,2 millions d’euros (moyenne par année de 2009 à 2013)
  • le quotidien Libération : 10 millions d’euros (moyenne par année de 2012 à 2013)
  • les magazines Télé 7 Jours, Télé Star, Télé Loisirs, Télé Z : 5 millions d’euros (moyenne par magazine, année 2013)
  • le quotidien le Point : 4,6 millions d’euros (moyenne par année de 2009 à 2013)
  • le magazine Closer : environ 300 000 euros (année 2013)
  • le mensuel le monde diplomatique : 108 600 euros (année 2013)

Le problème de la monétisation des contenus éditoriaux sur internet par la presse papier n’est finalement que le révélateur d’un fonctionnement historiquement basé sur des subventions étatiques importantes. La question de la rémunération de l’information en générale et de la presse papier en particulier n’est pas un nouveau problème.

ni assurance ni charité, la solidarité

Dans un article intitulé ni assurance ni charité, la solidarité, Alain Supiot - professeur au collège de France - distingue la notion de nationalité, et celle de citoyenneté, et mêmes celle des citoyennetés : citoyenneté politique et citoyenneté sociale.

C’est sur le plan national que la solidarité a acquis la plus grande portée. Le code de la Sécurité sociale (1945) affirme ainsi que « l’organisation de la Sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale ».

A ce principe correspond une citoyenneté sociale, distincte de la citoyenneté politique, qui repose sur trois piliers : la sécurité sociale, les services publics et les libertés collectives garanties par le droit du travail (liberté syndicale, négociation collective et droit de grève).

Cette citoyenneté sociale, qui ne procède pas d’un droit du sang ou du sol, unit tous ceux qui contribuent à la solidarité nationale par leurs impôts et cotisations et bénéficient de celle-ci en tant qu’assurés sociaux et usagers des services publics.

Cette distinction entre nationalité et citoyenneté permet d’aborder sereinement la question du droit de vote des étrangers résidant en France. Ces étrangers résidant en France pourraient disposer d’une citoyenneté (et donc du droit de vote) sans pour autant disposer de la nationalité française.

Il conviendrait ainsi de distinguer les droits et les devoirs associés à la nationalité, de ceux associés à la citoyenneté.