Le web en tant que plateforme applicative est piloté par des acteurs du logiciel libre avec les composants libres tels que Webkit (par Apple), Chromium (par Google) ou gecko (par Mozilla). La course aux performances qui dure depuis un an entre les compilateurs/exécuteurs javascript jit met en évidence que Adobe et Microsoft sont simplement hors course, malgré leur solutions Air et Silverlight.
Malgré tout, l’acteur principal de la libération du web, Mozilla, a pour le moment limité son activité à des applications exécutées sur le poste de travail de l’utilisateur : Firefox comme navigateur web, Thunderbird comme logiciel de mail et Sunbird comme outil de calendrier (il existe d’autres projets mais ceux cités ci-dessus sont les projets majeurs).
Lors d’une récente conférence de Mozilla Europe, le conférencier Tristan Nitot et les questions de l’assistance ont évoqués des usages du web limités à des applications web propriétaires : Google Applications, Flickr, YouTube et Facebook. Ces applications web ont été citées car elles sont populaires et donc susceptibles d’être connues par la majorité de l’assistance. Même si le web se base sur des briques libres comme apache, dns, ip et firefox, les applications web restent majoritairement propriétaires. L’application cliente - Firefox - est libre, mais l’application serveur ne l’est pas (pour celles citées)…
Ne soyons pas mauvaise langue, il existe certaines applications libres : la plus connue est certainement Wikipedia et les autres projets de Wikimedia, mais il y a aussi OpenStreetMap qui vise à ce que tous les GPS du monde s’allient pour créer des cartes libres. Cependant, ces applications, même libres, restent centralisées et hébergées sur quelques serveurs centraux.
A contrario, des outils collaboratifs libres tels que les forges et les wiki sont décentralisés et respectent en cela l*'esprit internet*. Mozilla évolue dans ce sens en proposant l’extension Weave dont la partie serveur est libre et peut s’installer sur le serveur de son choix.
L’esprit internet évoqué ci-dessus consiste en une interconnexion d’ordinateurs, chacun étant à la fois client et serveur des autres ordinateurs. Chaque ordinateur héberge donc les services et les données que son propriétaire souhaite mettre à disposition des autres ordinateurs. Chaque propriétaire garde donc la maîtrise de ses données et le contrôle sur les services qu’il propose. L’esprit internet invite à la localisation des données et des services au plus près de l’utilisateur, idéalement sur son ordinateur personnel.
Or l’évolution du web s’oriente de nos jours vers une architecture centralisée où des ordinateurs serveurs proposent des services et des contenus à des ordinateurs clients. Une architecture où les clients et les serveurs sont 2 parcs d’ordinateurs distincts : les serveurs d’un côté, les ordinateurs personnels de l’autre. Cette architecture est précisément l’architecture centralisée du minitel où France Telecom avait un contrôle total sur l’architecture et les serveurs minitel. Internet est, avec le web 2.0, en train de régresser à l’âge du minitel des années 80 ! Si mon propos ne vous semble pas clair, ou au contraire s’il vous interpelle (bref, dans tous les cas !), visionnez la conférence Internet libre, ou minitel 2.0 ? qui mérite réellement d’y prêter attention. Vous pouvez également lire une interview de Benjamin Bayart, conférencier de la conférence précédente, qui permet d’appréhender simplement les dangers du minitel 2.0.
L’objectif que devrait se fixer Mozilla, ainsi que l’ensemble des acteurs du logiciel libre, devrait être de mettre en place un écosystème internet libre (et pas seulement le navigateur). Cela n’est pas simple et peut se décomposer en plusieurs étapes :
- se réapproprier son ordinateur personnel en tant qu’outil (avec linux, OpenOffice.org…)
- se réapproprier internet dont l’usage devrait se fondre dans l’ordinateur personnel (surtout si son ordinateur personnel devient également serveur pour les autres ordinateurs personnels, et réciproquement)
- se réapproprier ses données personnelles et la maîtrise de ses liens vers les autres ressources sur internet
Pour en revenir aux applications web mentionnées en début de ce billet, on peut estimer que les outils de groupeware viennent en partie marcher sur les platebandes de Google Applications même si ces dernières bénéficient d’un large plébiscite du fait de leur avantage technologique et ergonomique. Flickr peut également être remplacé par des galeries photo en php ou autre.
Les initiatives les moins avancées semblent donc concerner les réseaux sociaux comme YouTube (qui n’est finalement qu’un réseau social dédié aux vidéos), Facebook et ses concurrents. Or, c’est précisément dans ce domaine que le contrôle des données est le plus important car se sont des données personnelles qui sont en cause. C’est donc sur ce point que doivent se concentrer les efforts.
On se doit cependant de mentionner les briques techniques suivantes :
- Mozilla prévoit d’intégrer les balises video et audio dans Firefox 3.1, permettant d’intégrer facilement des vidéos dans les pages web. C’est une excellente nouvelle car c’est un prérequis à l’éclosion d’un YouTube-like libre.
- XDI ne prend pas position pour un réseau centralisé ou non mais propose cependant toutes les briques techniques nécessaires (XRI et XDI) permettant d’établir un réseau social interopérable, ouvert et extensible.
- Il existe également des initiatives intéressantes comme FOAF (friend of a friend) qui permet de décrire des personnes et les relations qu’elles entretiennent entre elles.
- Une autre initiative intéressante concerne les microformats qui permettent de normaliser les données de systèmes hétérogènes afin de les rendre interopérables.
- Les projets AppleSeed et HelloWorld sont 2 initiatives qui visent à mettre en place un réseau social distribué.
- Enfin, BioloGeek a publié plusieurs billets sur le thème du web sémantique.
Il manque toutefois à ces initiatives un liant pour transformer ces composants en solutions facilement installables et utilisables ainsi qu’un vernis pour les rendre attractives et accessibles au plus grand nombre, afin de réellement répondre à l’objectif précédemment fixé : un écosystème internet libre !