si, c'est vrai !

les médias ne reflètent pas la réalité

Des chercheurs de l’université d’Oxford se regroupent au sein du collectif our world in data pour interpréter les chiffres avec une logique opensource et opendata : tous leurs chiffres sont librement consultables et tous leur rapports sont librement ré-utilisables.

Dans un article intitulé does the news reflect what we die from?, ces chercheurs se penchent sur un sujet qui s’apparente à une évaluation critique des choix éditoriaux des médias : est-ce que l’actualité reflète les causes de décès ?

Pour mener à bien leur évaluation, ils ont utilisé les données suivantes :

  • les statistiques des causes de décès du Centers for Disease Control and Prevention aux USA
  • les médias au sens large avec :
    • les tendances de Google Trends
    • les mentions de causes de décès dans le journal New York Times
    • les mentions de causes de décès dans le journal The Guardian

Pour plus de clareté, ils n’ont étudié que les 10 causes majeures de décès, en comparant leur exposition médiatique à leur prévalence réelle.

Il en ressort que certains facteurs de mortalité sont énormément sur-représentés dans les médias par rapport à la mortalité réelle. Sans surprise, ces facteurs sont ceux qui font peur, qui font vendre :

  • le terrorisme (d’un facteur 3906)
  • les homicides (d’un facteur 31)
  • les suicides (d’un facteur 7)

Inversement, d’autres facteurs de mortalité sont énormément sous-représentés dans les médias par rapport à la mortalité réelle. Sans surprise, ces facteurs sont ceux qui touchent à la maladie ou à la drogue :

  • maladies des reins (d’un facteur 11)
  • maladies du coeur (d’un facteur 10)
  • overdose (d’un facteur 7)

sur-représentation et sous-représentation dans les médias des facteurs de mortalité par rapport à la mortalité réelle

Les médias favorisent les histoires qui font vendre, celles qui sont faciles à raconter aux dépens d’un véritable travail de prévention sur les maladies et les addictions.

l'union européenne est un cartel

Dans une longue interview de 2 heures par Thinkerview, Yanis Varoufakis discute de l’Europe, du fachisme, du président américain, du président français, du brexit, des relations entre Syriza et l’union européenne (et du torpillage par Berlin du projet d’accord entre la Grèce et la Chine sur le port du Pirée).

Il considère que l’union européenne est un cartel qui agit pour le compte du grand business européen.

The first name of the european union was European Community of Coal and Steel. That’s a cartel. The european union was a cartel for coal and steel.

And after that, they brought in the car makers. After that, they got in the french farmers. It was a cartel that was expanding and which needed free trade and a common currency to function.

I’m not criticizing it, maybe it was a good idea. Maybe it was the only way to stop war.

But let’s be honest with each other: we did not create a european union of european peoples. We create a european union of car makers, steel producers, large scale farming, banking. And then we created a european parliament that is the only parliament in the history of the world that have not the right to legislate.

D’après Yanis Varoufakis, le manque de démocratie au sein de l’union européenne n’est pas surprenant, il est inscrit dans les gènes de celle-ci. Il a justement fondé un parti européen dont le projet est de réformer les institutions européennes pour y insuffler de la transparence et de la démocratie.

suiveur, marginal et leader

Dans une très courte vidéo intitulé comment démarrer un mouvement, Derek Sivers redore le blason des suiveurs, mal-aimés en France.

Autant les anglo-saxons ont des followers sur internet, autant les francophones ont des abonnés, pas des suiveurs. Etre suiveur est connoté de suivisme, d’être passif, voir grégaire. Derek Sivers souhaite contrecarrer cette connotation négative et donner une image positive du suiveur, et en particulier des premiers suiveurs.

Il prend l’exemple d’une petite vidéo où l’on voit d’une personne qui danse seule au milieu d’autres personnes assises. Le danseur est un marginal, il est seul. Petit à petit, un puis deux puis trois suiveurs le rejoignent et se mettent à danser également. Ces premiers suiveurs là prennent des risques, ils s’exposent. Ils sont petit à petit rejoints par des dizaines d’autres personnes et c’est toute cette foule qui danse maintenant. Mais plus il y a de monde qui danse, moins les suiveurs qui se sont mis à danser à ce moment-là ont pris un risque en se joignant à la foule. Et c’est maintenant ceux qui ne dansent pas encore qui prennent le risque de s’exposer à la marginalité, ces derniers suiveurs rejoignent alors la foule, plus ou moins contraints par la norme sociale.

Voilà comment se crée un mouvement !

A travers cette démonstration, Derek Sivers veut mettre en valeur une figure en particulier : le premier suiveur, celui qui a pris parti dès le début. “Le premier suiveur est ce qui transforme un marginal en un leader”. Le leader sera félicité pour son audace, mais ce sont les premiers à avoir rejoint la danse qui ont renforcé et légitimisé son action. “Si vous souhaitez réellement lancer un mouvement, ayez le courage de suivre.”

Il importe de reconnaître l’audace et l’importance du rôle joué par les premiers suiveurs, car ce sont eux qui transforment un marginal en un leader.

pic pétrolier probable d'ici 2025

Dans un article intitulé pic pétrolier probable d’ici 2025, selon l’Agence internationale de l’énergie, l’auteur expose un état des lieux de la production de pétrle (conventionnel ou non) dans le monde.

La production mondiale de pétrole conventionnel (près des 3/4 de la production totale de pétrole) a franchi un pic en 2008 à 69 millions de barils par jour (Mb/j), et a décliné depuis d’un peu plus de 2,5 Mb/j. L’AIE estime que ce déclin ne sera pas interrompu (cf. World Energy Outlook 2018, p. 142).

Si le pétrole de schiste a compensé pour un temps la baisse de production de pétrole conventionnel, il ne constitue pas pour autant une alternative durable.

Le profil de production des puits de pétrole de schiste se caractérise par un déclin rapide du flot de brut : après 1 ou 2 ans, la production ne constitue plus qu’une faible fraction de la production initiale. Par conséquent, les producteurs de pétrole de schiste (le shale oil en anglais) doivent en permanence forer de nouveaux puits pour maintenir leurs extractions. Cet effort constant d’investissement reste le plus souvent nettement supérieur au cash que génère la vente de brut.

Nous avons vécu quelques décennies d’une abondance énergétique sans précédent dans l’ère de l’humanité.

La démocratie moderne a germé dans un bain d’abondance énergétique. Il me semble raisonnable de craindre que l’hiver de cette ère soit tout proche. Je propose une fois encore que nous examinions le danger sérieusement.

Si les régimes politiques démocratique sont le résultat d’une abondance énergétique, il est à craindre qu’ils ne survivent pas à la fin de cette abondance énergétique.

quelles perspectives pour l'humanité ?

Dans une conférence donnée au Collège de France en 2017 et portant sur l’habitat du futur, Jean-Marc Jancovici a commencé sa conférence en rappelant quelques informations générales et non spécifiques à l’habitat.

(à 8 minute) Le premier rappel concerne la quantité de gaz à effet de serre (GES) déjà émise et la hausse de températures déjà assurée d’ici 2100.

La quantité de GES émise entre 1850 et 2015 nous assure une hausse de température de plus de 1 degré en 2100, toute autre promesse est un mensonge (exemple : l’accord de Paris qui a fait suite à la COP21).

Le second rappel concerne la marge qu’il nous reste si l’on souhaite rester en dessous des 2 degrés d’augmentation de température.

Rester en dessous de 2 degré, c’est encore possible et cela signifie que nos enfants et petits-enfants (les 2 prochaines générations) ont le droit d’émettre la moitié de ce que nous et nos parents avons déjà émis (les 2 générations précédentes) en terme de GES. Comme ces 2 prochaines générations comportent 3 fois plus d’être humains, chacune de ces 2 futures générations ne doit émettre que le sixième de ce que nous avons déjà émis (les 2 générations précédentes).

Dans la société telle que nous la connaissons depuis la révolution industrielle, 6 fois moins d’émissions de GES signifie 6 fois moins de PIB. Cela constituerait une importante récession. Et comme aucun responsable politique n’envisage d’être élu en promettant une récession, on comprend mieux l’inaction constatée des responsables politiques et leurs fausses promesses.

Si l’on remonte plus loin dans le temps, on constate qu’il y a toujours eu des variation de température et de climat. Mais ces variations étaient 50 fois moins rapides que le changement climatique actuel.

De -20000 à nos jours, la vitesse du réchauffement climatique était d’environ 0,1 degré par siècle. Et l’écosystème d’il y a 20000 ans était totalement différent de l’écosystème d’aujourd’hui, il n’aurait certainement pas pu accueillir plus de quelques centaines de milliers d’êtres humains. Le réchauffement climatique actuel évolue à une vitesse d’environ 0,05 degrés par année, soit 50 fois plus rapidement que depuis 20000 ans.

Par conséquent, le réchauffement climatique actuel nous promet des changements sociétaux importants :

  • l’effondrement des systèmes organisés (les pays ou les unions de pays) et un basculement des régimes politiques vers l’autoritarisme
  • espérance de vie en forte diminution

(à 20 minutes) L’hypothèse d’un réchauffement climatique en dessous de 2 degrés est encore tenable, mais elle impose d’agir d’ici 2050, c’est à dire d’ici à ce que les enfants d’aujourd’hui soient adultes. Limiter le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés implique une division des GES planétaires par 3.

Jusqu’à présent, on est loin de pouvoir envisager atteindre cet objectif : les objectifs de l’accord de Paris signés en 2015 ne sont déjà pas tenus. En effet, les émissions de GES sont en augmentation depuis 2015.

Par conséquent, plus on tarde à mettre en place des actions concrètes, plus il faudra que ces actions soient de grande ampleur. Autrement dit, pour diviser par 3 nos émissions de GES d’ici 2050, il faudra que la baisse soit beaucoup plus rapide si elle commence en 2030 (20 ans de délai) que si elle commence en 2020 (30 ans de délai).

Diviser les émissions de GES par 3 en 30 ans implique de diminuer nos émissions de GES de 5 % par an. Pour bien prendre conscience de ce qu’implique une diminution de 5 % par an, il importe de prendre conscience que - depuis le début du vingtième siècle - il n’y a que 2 années où les émissions de GES ont été en baisse de 5 % :

  • la crise de 1929
  • l’anéantissement du Japon et de l’Allemagne à la fin de la seconde guerre mondiale

La réduction de nos émissions de GES implique une diminution du PIB, et donc une contraction du pouvoir d’achat. C’est un passage obligatoire.

Quelles que soient nos décisions et nos actions, le système-monde se régulera de lui-même, d’une manière ou d’une autre. Il se régulera soit avec nous, si l’on met en place les actions de réducion de émissions de GES, soit sans nous, c’est à dire par une sélection de facteurs à choisir parmi les 3 principaux facteurs de régulation sociale : l’oppression politique, la famine et la maladie (la guerre étant une forme particulière d’oppression politique).

les gilets jaunes et la question démocratique

Dans un article intitulé les gilets jaunes et la question démocratique, l’auteur explique comment le mouvement des gilets jaunes remet en cause les fondements même du régime représentatif français. Samuel Hayat est l’auteur d’une thèse intitulée au nom du peuple français, la représentation politique en question autour de la révolution de 1848 en France.

Selon son analyse, une revendication des gilets jaunes serait de décider eux-mêmes, sans avoir à élire un représentant ou un porte-parole.

Aujourd’hui, c’est cette vieille question de la démocratie qui revient : pourquoi, au fond, faudrait-il que ce soit toujours les mêmes qui décident, ces professionnels de la politique, au langage en bois, aux jeux obscurs et au mépris du peuple affiché ? Pourquoi donc le peuple ne pourrait-il pas faire ses affaires lui-même, de temps à autre, au moins pour les choses importantes ?

Même si le mouvement des gilets jaunes est récent, l’aspiration à l’autodétermination n’est pas nouvelle.

Il ne s’agit pas là d’une simple inconstance des médias et des politicien.ne.s. Si le RIC s’est imposé si aisément et si le conflit autour de lui a pris des proportions si grandes, c’est que cette polémique touche à quelque chose de fondamental. Elle est révélatrice d’un affrontement, présent de manière plus ou moins ouverte depuis le début du mouvement, mais qui a ses racines dans une histoire bien plus longue, entre deux conceptions de la politique.

Les deux conceptions de la politique sont la politique partisane :

[…] la politique partisane, est centrée sur la compétition électorale entre professionnel.le.s du champ politique pour accéder au pouvoir. Elle fonctionne par la production de visions du monde antagonistes (des idéologies), objectivées dans des programmes entre lesquels les citoyens sont sommé.e.s de choisir, sous peine de se condamner à l’invisibilité politique.

et la politique citoyenniste :

Mais le mouvement des Gilets jaunes, en particulier depuis que le RIC est devenu son cheval de bataille, a mis sur le devant de la scène une autre conception de la politique, que l’on peut qualifier de citoyenniste. Elle repose sur la revendication d’une déprofessionnalisation de la politique, au profit d’une participation directe des citoyens, visant à faire régner l’opinion authentique du peuple, sans médiation.

Cette politique citoyenniste est centrée sur les citoyens et sur les idées plutôt que sur les partis.

La conception citoyenniste de la politique, par son refus principiel des schémas de la politique partisane, n’est pas seulement ouverte à la « récupération », terme clé de la politique des partis : elle cherche à être reprise, diffusée, réappropriée, par qui que ce soit. En cela, elle est bien plus ouverte que la politique partisane, elle n’a pas de coût d’entrée, pas de langage spécifique à manier, pas de jeu à saisir – elle est, disons le mot, éminemment démocratique.

Alors que la république française a opté pour un régime aristocratique ou oligarchique, c’est le rêve d’une démocratie réelle qui anime les gilets jaunes.

C’est cette question que le pouvoir n’arrive même pas à entendre : le mouvement des Gilets jaunes puise sa force dans la revendication démocratique. Alors que la politique professionnelle s’appuie sur la monopolisation du pouvoir par un petit groupe, une oligarchie, la politique citoyenniste entend, par le référendum, donner le pouvoir à n’importe qui, c’est-à-dire à tout le monde à égalité. C’est le sens qu’avaient les termes démocratie et aristocratie en Grèce antique, et qu’ils ont gardé jusqu’au XVIIIe siècle : la démocratie, c’est le règne du peuple agissant directement, ou bien par des citoyens tirés au sort ; l’élection, quant à elle, est la procédure aristocratique par excellence, elle donne le pouvoir à une élite. Or le triomphe du gouvernement représentatif et de ses institutions, en premier lieu l’élection, s’est fait sur le refoulement de cette possibilité politique, sur l’oubli de ce que la démocratie pouvait vouloir dire, oubli renforcé par la récupération, pour qualifier le gouvernement représentatif, du vocabulaire de la démocratie. La politique démocratique s’est trouvée ainsi escamotée au profit d’une forme aristocratique de gouvernement, rebaptisée progressivement « démocratie représentative ». C’est pour cela qu’en temps normal, cette conception citoyenniste de la politique, refoulée, est peu audible – mais elle n’a jamais entièrement disparu. L’aspiration démocratique refait régulièrement surface, en 1848, en 1871, en 1936, en 1968, en 2018, chaque fois qu’a lieu un mouvement de contestation générale des gouvernants et de leur jeu, au nom du peuple. Et chaque fois, les cadres d’analyse manquent aux professionnel.le.s pour comprendre ce qui a lieu, eux qui vivent par et pour le refoulement de ces aspirations démocratiques. Le mouvement des Gilets jaunes donne donc à voir une possibilité claire : déprofessionnaliser la politique, aller vers un règne des citoyen.ne.s, au nom de l’idéal qui forme désormais le sens commun du plus grand nombre, la démocratie.

Face à ce mouvement citoyenniste, qui ira défendre la vieille politique, celle des partis et des élu.e.s ? A part ceux qui sont payés pour, gageons qu’il y aura peu de monde. C’est que la politique partisane se trouve déjà fortement affaiblie, et ce de longue date. D’abord, le conflit partisan s’est émoussé : vu du dehors du monde des professionnel.le.s, il n’y a plus, depuis longtemps, de différence significative entre la droite et la gauche, qu’il s’agisse de l’origine sociale des candidat.e.s ou de la nature des politiques menées. Partout, avec quelques nuances indéchiffrables pour le plus grand nombre, on trouve la même marchandisation des services publics, les mêmes manœuvres de séduction adressées aux capitalistes pour attirer leurs précieux investissements, le même zèle à limiter les libertés publiques, surarmer les forces de l’ordre, enfermer les pauvres et expulser les étranger.e.s.

La politique partisane s’est sabordée elle-même en brouillant les frontière entre les partis, entre la droite et la gauche. L’absence d’alternative au néolibéralisme constitue une impasse qui démontre l’inutilité de cette politique.

Les tenants mêmes du pouvoir, les professionnel.le.s de la politique, semblent ne plus croire aux possibilités de l’action politique, et répètent avec diverses modulations qu’il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme. Pourquoi alors défendre leur jeu, si de leur propre aveu, il n’a plus d’enjeu ?

Et cette absence d’alternative au néolibéralisme vise à instituer une forme d’ordolibéralisme où le champ des possibles d’un gouvernement est restreint par des lois que l’état s’impose à lui-même.

[…] la politique citoyenniste puise sa force dans le mécontentement justifié vis-à-vis de la politique partisane et dans une longue histoire de l’aspiration démocratique, mais aussi dans la montée en puissance des cadres de pensée du gouvernement des expert.e.s, de tous ceux qui veulent remplacer la politique (politics) par une série de mesures techniques (policies), néolibéraux en tête.

Selon l’auteur, la démocratie c’est le dissensus. La troisième voie qu’il propose entre la politique partisane et la politique citoyenniste consiste à déprofessionnaliser la politique, démocratiser le dissensus et à faire entrer les masses en politique.

Face à cette opposition entre une conception partisane professionnalisée et une conception citoyenniste consensuelle de la politique, une autre voie existe, même si les moyens de l’arpenter restent incertains. Il s’agit de chercher à déprofessionnaliser la politique sans en éliminer le caractère conflictuel, c’est-à-dire de démocratiser le dissensus. C’est ce qu’ont essayé de faire, en 1848, les défenseurs de la République démocratique et sociale : faire entrer les masses en politique, non pour les faire voter sur telle ou telle mesure, mais pour réaliser une politique de classe, le socialisme, dans l’intérêt des prolétaires et contre la bourgeoisie. Il s’agissait alors de donner une visibilité aux clivages sociaux, et non de les dissimuler derrière tel dispositif participatif, aussi démocratique fût-il.

Peut-être pourrait on s’inspirer du projet des défenseurs de la république démocratique et sociale de 1848 ?

la décroissance vise le travailler moins pour travailler mieux

Dans un article initulé la décroissance vise le travailler moins pour travailler mieux, Serge Latouche dresse un portrait noir de notre société et de son avenir.

Il explique que l’être humain ne souhaite pas modifier son mode de vie. Et les structures au pouvoir n’ont aucun intérêt à faire changer cela.

Nous sommes des toxicodépendants de la société de consommation. Comme tout drogué, nous préférons continuer à nous approvisionner, accumuler toujours plus, plutôt que d’entamer le sevrage. Nous savons tous que nous allons dans le mur, mais nous préférons ne pas y croire, car cela exige une rupture radicale. Un changement de civilisation.

L’homme est un animal routinier, pour qui tout changement est angoissant et douloureux. Surtout lorsque l’appareil économico-politique dominant entretient le système. Il est inutile de compter sur les dirigeants politiques pour initier le mouvement, car le vrai pouvoir est trop souvent aux mains du marché. Or, celui-ci n’a aucun intérêt à transformer un système qui lui profite.

Le problème n’est pas conjoncturel, mais structurel. C’est donc la structure elle-même qui est à changer.

Il faudrait ensuite engager des changements structurels. Et ce, en abordant le problème de façon systémique, plutôt que le découper en tranches, en traitant ses aspects un par un – le glyphosate, l’obsolescence programmée, etc. –, ce qui n’est pas efficace. En tout cas, la transition douce, je n’y crois plus.

Désormais, seul un choc peut nous permettre de nous ressaisir. Je crois beaucoup à la pédagogie des catastrophes – dans ces conditions, le virage peut être très rapide. L’histoire n’est pas linéaire. Regardez, en mai 1968, la France s’ennuyait, comme l’écrivait Le Monde, quelques jours avant le début des événements. Et puis éclata une révolte contre l’absurdité. A l’époque, on ne savait plus pourquoi on vivait… Le lien avec aujourd’hui est manifeste : le manque de sens caractérisant le marché de l’emploi et les métiers inutiles, l’absurdité d’accumuler toujours plus et de concourir à la destruction de la planète.

La démographie est une variable essentielle mais il n’est pas nécessaire de tenter de la réguler car elle devrait se réguler naturellement.

En outre, puisqu’une croissance infinie de la population est incompatible avec les limites de la planète, la question démographique va, je pense, se réguler naturellement. Il est donc inutile, dès lors, de mettre en place une politique restrictive de natalité.

L’auteur appelle à sortir du capitalisme pour retrouver du sens.

Cela implique-t-il de remettre en cause le capitalisme ?

Oui, dès lors que celui-ci se fonde sur la recherche de la croissance pour la croissance, l’accumulation sans limite du capital. La décroissance appelle à sortir de la production infinie pour retrouver le sens de la mesure.

Fondée sur une critique de la société de consommation et du libéralisme, elle est par essence de gauche et d’inspiration socialiste, mais en y ajoutant la dimension écologique. Cela signifie que tout est à repenser : l’appareil de production, la protection sociale, la solidarité entre les générations, l’emploi. La décroissance vise le travailler moins pour travailler mieux, avec, pour commencer, la réduction des heures de travail.

Si la transition douce n’est plus envisageable, nous allons donc un jour être confronté à une limite dure qui constituera un choc pour notre société.

Le pouvoir est une illusion, il a la puissance que l’on veut bien lui prêter. Le roi est nu, mais nous l’ignorons. Les milliards et les marchés nous oppriment car nous sommes dans la servitude volontaire, telle que La Boétie l’avait dépeinte. Seule une crise ou un choc peut permettre de s’en libérer.

Si l’on en croit Serge Latouche, en l’absence de transition douce, le choc est inévitable. Il importe donc de se préparer à se choc pour qu’il soit le moins négatif possible.

éloge de la gratuité

Dans un article intitulé éloge de la gratuité, Paul Ariès mets en regard le revenu universel avec la gratuité.

Son argument majeur est que le revenu universel nous maintient dans une logique marchande, dans une logique de société de consommation qui n’est pas à la hauteur des enjeux écologiques actuels.

Il invoque aussi l’argument que la mise en place de la gratuité est moins chère que la mise en place d’un revenu universel :

En 2017, l’University College de Londres a comparé le coût d’un revenu universel de base à celui d’une mise en oeuvre de la gratuité pour les services universels élémentaires (logement, nourriture, santé, enseignement, services de transport, services informatiques, etc.) au Royaume-Uni. La seconde coûterait 42 milliards de livres sterling (environ 48 milliards d’euros), contre 250 milliards pour le revenu universel (environ 284 milliards d’euros). D’un côté, l’équivalent de 2,2 % du produit intérieur brut (PIB) britannique ; de l’autre, 13 %.

Un autre argument est que la mise en place de la gratuité n’invite pas au gaspillage, au mésusage, mais au contraire au bon usage :

Mais imagine-t-on que l’on puisse payer son eau un même prix pour boire ou pour remplir sa piscine ? Il n’existe pas de définition scientifique, et encore moins moraliste, de ce que serait le bon ou le mauvais usage des biens communs. Il reviendra donc aux citoyens — c’est-à-dire aux processus politiques — de définir ce qui doit être gratuit, renchéri, voire interdit.

Les biens de consommation deviennent ainsi des biens communs dont les règles de gestion doivent alors être décidées collectivement, et démocratiquement.

climat et effondrement

Dans un article intitulé climat et effondrement : seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire, l’auteur nous invite à éviter le piège d’un romantisme de l’effondrement et à anticiper la manière dont notre société pourrait espérer gérer un effondrement de civilisation.

Plutôt que de subir un effondrement non maîtrisé, il nous invite à le provoquer afin de tenter d’en maîtriser les conséquences.

Une définition plus intéressante, autrement plus probable au 21e siècle que l’extinction de l’espèce humaine, est celle donnée par Yves Cochet et l’Institut Momentum : l’effondrement comme « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie…) ne sont plus fournis – à un coût raisonnable – à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Comme la violence de la crise grecque nous l’indique, ce type d’effondrement peut toucher des pays entiers, y compris en Europe. Étant donné l’interconnexion de l’économie mondiale, on peut étendre l’hypothèse à celle de l’effondrement d’un système : la civilisation du capitalisme industriel et sa culture consumériste, civilisation aujourd’hui globalisée même si les disparités sociales et territoriales restent majeures.

Après l’effacement de tant de systèmes politiques au cours des 50 derniers siècles et alors que de toutes parts nous parviennent des rapports sur les bouleversements qui affectent la Terre, n’est-il pas téméraire de considérer le capitalisme industriel et consumériste comme immortel ? Étant donné qu’il est la cause du dérèglement planétaire, il me semble plutôt intéressant de penser son effondrement, voire même de le préparer !

En multipliant par exemple les actes de non-coopération avec le modèle consumériste, en résistant aux dérives fascisantes ou aux oppressions que la crise écologique ne manque pas de favoriser, en s’opposant aux projets inutiles et à la poursuite de l’extraction des énergie fossiles comme des minerais, en renforçant les alternatives qui émergent. A l’image du « dernier homme » post-apocalyptique et individualiste hollywoodien, je préfère plutôt l’image des collectifs qui participent à l’effondrement d’un vieux monde productiviste : ceux qui bloquent les mines et font chuter le cours des actions des multinationales, ceux qui réinventent des communs – du mouvement de la transition aux zones à défendre. Une autre fin du monde est possible !

Si on ne peut éviter la fin du monde, autant choisir la fin du monde qu’on souhaite !

Un effondrement civilisationnel n’affectera pas les uns et les autres de la même manière.

[…] les impacts des catastrophes écologiques et climatiques, dans leurs causes comme dans leurs conséquences, ne sont jamais séparés des formes de domination et d’exploitation. Du coup, on ne peut pas penser politiquement l’effondrement en confrontant simplement une courbe de la population mondiale à une courbe de disponibilité des ressources ou de dépassement de limites planétaires. Ces courbes ne disent rien sur ce qui se passent au plan géopolitique, sur la manière dont évoluent les rapports sociaux et politiques, sur qui sont les gagnants et les perdants de ces bouleversements. Les plus pauvres peuvent perdre encore plus, et les 1 % des plus riches s’en sortir très correctement.

Un scénario catastrophe serait celui d’une Terre déréglée, moins habitable en bien des régions, avec des centaines de millions de réfugiés ruinés et obligés de quitter leur foyer, des sous-continents entiers livrés au chaos des guerres civiles et de l’extraction des ressources, et des puissances mondiales ultra-militarisées. Ces régimes autoritaires s’affronteraient entre eux pour le contrôle des ressources de la Terre, et feraient en interne régner une dictature au nom de l’urgence écologique et de l’exclusion des miséreux étrangers se pressant à leurs portes.

Au nom de l’urgence climatique et face à des dégradations rapides de l’habitabilité de la Terre, ces régimes aboliront les frontières morales, sociales : on nous proposera l’asservissement et la soumission en échange de la survie. Le contrôle de nos données personnelles orientera nos comportements. Cet ordre totalitaire se présentera comme écolo et rationnera l’usage des ressources, mais maintiendra des inégalités énormes entre une plèbe à la vie diminuée et une élite qui continuera à surconsommer.

Certains seront plus touchés que d’autres, et ce sont probablement ceux qui sont aujourd’hui les plus exposés, les plus précaires, les plus fragiles.

Si on regarde, à court terme, comment le dérèglement planétaire redistribue la donne, il semble que pour un certain nombre d’années encore, les 5 % à 10 % les plus aisés du monde, habitant principalement au sein des pays de l’OCDE ainsi que la Chine et la Russie, ne s’aperçoivent pas encore véritablement de la gravité de la situation : ils sont moins fragilisés, vivent dans des États relativement stables qui érigent des barrières contre les migrants, ont accès à un standing de vie qui nécessite un échange écologique inégal avec le reste de la planète, où se trouve l’essentiel des ateliers de production et des sites d’extraction. Pour eux, « tout va bien » tant qu’ils continuent à bénéficier d’un système politique et économique qui externalise la violence vers les autres territoires, populations et espèces du monde.

De l’autre côté, la moitié la plus défavorisée de l’humanité, pourrait se trouver en danger vital. Cette moitié n’a rien reçu des richesses générées en 2017 dans le monde tandis que 82 % de celles-ci ont profité aux 1 % les plus riches du monde. Alors que les uns s’achètent des canots de sauvetage, les autres triment dans les ateliers du monde dans des conditions de pollution extrême, ou sur des terres de moins en moins fertiles. Entre 200 millions et un milliard d’humains pourraient devenir des réfugiés à l’horizon 2050. Il faut se rendre compte de la violence du changement climatique qui s’ajoute et se combine aux violences sociales subies par ces « damnés de la terre ».

Nous vivons certes tous sur la même planète, mais nous n’avons pas tous le même destin. Certains groupes sociaux n’ont aucun intérêt à ce que cela change.

Quand on voit l’écart entre les plus riches et les milliards de personnes les plus affectées par les dégâts climatiques, ou les écarts des coûts et bénéfices du réchauffement selon les régions et les États, force est de constater que le discours qui consiste à clamer « Nous sommes tous concernés, nous devons agir ensemble », ne tient pas la route. Il y aura des gagnants et des perdants du réchauffement climatique. Certains pays – comme la Russie et les monarchies pétrolières du Golfe – et certains groupes sociaux n’ont aucun intérêt à ce que cela change. Non, nous ne sommes pas tous dans le même bateau, ou alors pas dans la même classe ni avec le même accès au restaurant et aux canots.

Et dans l’affaire, la planète est neutre : ce n’est pas elle qui limitera notre folie consumériste.

Nous ne pouvons donc plus compter sur ces limites et sur une pénurie de ressources – le fameux « pic » pétrolier – pour nous arrêter à temps. Seul le volontarisme politique, aiguillonné par une insurrection des sociétés civiles, peut permettre d’éviter le pire.

Nous connaissons l’existence de réserves fossiles sous nos pieds, que pourtant nous devons absolument apprendre à ne pas extraire.

Comme les initiatives individuelles ne suffiront pas à changer de modèle de société, il faudra nécessairement en passer par le politique.

En politique, il est temps que le sérieux change de camp. Des leaders politiques, des institutions ou des entreprises ne peuvent plus être considérés comme sérieux s’il n’ont pas des propositions claires, pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et l’empreinte écologique d’ici cinq ans. S’ils placent la compétitivité, la croissance et le business avant, ils devront laisser la place à des politiques plus à même de préserver nos vies, nos valeurs de solidarité, et un état habitable du monde.

Mais qu’est-ce qui pourrait amener les politiques de l’ancien monde à laisser place aux politiques d’un monde nouveau ? Une insurrection des sociétés civiles ?

la fabrique des démagogues

Dans un article intitulé au Brésil, la fabrique des démagogues, Glenn Greenwald illustre le fait que la santé d’une démocratie et les libertés politiques sont indissociables de la confiance en les institutions.

Cette situation générale démontre ce que les élites […] refusent toujours d’admettre : l’autoritarisme ne naît pas de nulle part. Les démagogues ne peuvent pas s’épanouir au milieu d’institutions fonctionnelles, justes et équitables. Menacer la démocratie et les libertés politiques ne devient possible que lorsque la population perd la confiance qui la liait aux institutions.

Dans les pays où l’abstention est élevée, il pourrait y avoir un lien avec les scandales à répétition concernant le monde politique et institutionnel, à commencer par ceux liés à la corruption.