si, c'est vrai !

éloge de la gratuité

Dans un article intitulé éloge de la gratuité, Paul Ariès mets en regard le revenu universel avec la gratuité.

Son argument majeur est que le revenu universel nous maintient dans une logique marchande, dans une logique de société de consommation qui n’est pas à la hauteur des enjeux écologiques actuels.

Il invoque aussi l’argument que la mise en place de la gratuité est moins chère que la mise en place d’un revenu universel :

En 2017, l’University College de Londres a comparé le coût d’un revenu universel de base à celui d’une mise en oeuvre de la gratuité pour les services universels élémentaires (logement, nourriture, santé, enseignement, services de transport, services informatiques, etc.) au Royaume-Uni. La seconde coûterait 42 milliards de livres sterling (environ 48 milliards d’euros), contre 250 milliards pour le revenu universel (environ 284 milliards d’euros). D’un côté, l’équivalent de 2,2 % du produit intérieur brut (PIB) britannique ; de l’autre, 13 %.

Un autre argument est que la mise en place de la gratuité n’invite pas au gaspillage, au mésusage, mais au contraire au bon usage :

Mais imagine-t-on que l’on puisse payer son eau un même prix pour boire ou pour remplir sa piscine ? Il n’existe pas de définition scientifique, et encore moins moraliste, de ce que serait le bon ou le mauvais usage des biens communs. Il reviendra donc aux citoyens — c’est-à-dire aux processus politiques — de définir ce qui doit être gratuit, renchéri, voire interdit.

Les biens de consommation deviennent ainsi des biens communs dont les règles de gestion doivent alors être décidées collectivement, et démocratiquement.

climat et effondrement

Dans un article intitulé climat et effondrement : seule une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire, l’auteur nous invite à éviter le piège d’un romantisme de l’effondrement et à anticiper la manière dont notre société pourrait espérer gérer un effondrement de civilisation.

Plutôt que de subir un effondrement non maîtrisé, il nous invite à le provoquer afin de tenter d’en maîtriser les conséquences.

Une définition plus intéressante, autrement plus probable au 21e siècle que l’extinction de l’espèce humaine, est celle donnée par Yves Cochet et l’Institut Momentum : l’effondrement comme « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie…) ne sont plus fournis – à un coût raisonnable – à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». Comme la violence de la crise grecque nous l’indique, ce type d’effondrement peut toucher des pays entiers, y compris en Europe. Étant donné l’interconnexion de l’économie mondiale, on peut étendre l’hypothèse à celle de l’effondrement d’un système : la civilisation du capitalisme industriel et sa culture consumériste, civilisation aujourd’hui globalisée même si les disparités sociales et territoriales restent majeures.

Après l’effacement de tant de systèmes politiques au cours des 50 derniers siècles et alors que de toutes parts nous parviennent des rapports sur les bouleversements qui affectent la Terre, n’est-il pas téméraire de considérer le capitalisme industriel et consumériste comme immortel ? Étant donné qu’il est la cause du dérèglement planétaire, il me semble plutôt intéressant de penser son effondrement, voire même de le préparer !

En multipliant par exemple les actes de non-coopération avec le modèle consumériste, en résistant aux dérives fascisantes ou aux oppressions que la crise écologique ne manque pas de favoriser, en s’opposant aux projets inutiles et à la poursuite de l’extraction des énergie fossiles comme des minerais, en renforçant les alternatives qui émergent. A l’image du « dernier homme » post-apocalyptique et individualiste hollywoodien, je préfère plutôt l’image des collectifs qui participent à l’effondrement d’un vieux monde productiviste : ceux qui bloquent les mines et font chuter le cours des actions des multinationales, ceux qui réinventent des communs – du mouvement de la transition aux zones à défendre. Une autre fin du monde est possible !

Si on ne peut éviter la fin du monde, autant choisir la fin du monde qu’on souhaite !

Un effondrement civilisationnel n’affectera pas les uns et les autres de la même manière.

[…] les impacts des catastrophes écologiques et climatiques, dans leurs causes comme dans leurs conséquences, ne sont jamais séparés des formes de domination et d’exploitation. Du coup, on ne peut pas penser politiquement l’effondrement en confrontant simplement une courbe de la population mondiale à une courbe de disponibilité des ressources ou de dépassement de limites planétaires. Ces courbes ne disent rien sur ce qui se passent au plan géopolitique, sur la manière dont évoluent les rapports sociaux et politiques, sur qui sont les gagnants et les perdants de ces bouleversements. Les plus pauvres peuvent perdre encore plus, et les 1 % des plus riches s’en sortir très correctement.

Un scénario catastrophe serait celui d’une Terre déréglée, moins habitable en bien des régions, avec des centaines de millions de réfugiés ruinés et obligés de quitter leur foyer, des sous-continents entiers livrés au chaos des guerres civiles et de l’extraction des ressources, et des puissances mondiales ultra-militarisées. Ces régimes autoritaires s’affronteraient entre eux pour le contrôle des ressources de la Terre, et feraient en interne régner une dictature au nom de l’urgence écologique et de l’exclusion des miséreux étrangers se pressant à leurs portes.

Au nom de l’urgence climatique et face à des dégradations rapides de l’habitabilité de la Terre, ces régimes aboliront les frontières morales, sociales : on nous proposera l’asservissement et la soumission en échange de la survie. Le contrôle de nos données personnelles orientera nos comportements. Cet ordre totalitaire se présentera comme écolo et rationnera l’usage des ressources, mais maintiendra des inégalités énormes entre une plèbe à la vie diminuée et une élite qui continuera à surconsommer.

Certains seront plus touchés que d’autres, et ce sont probablement ceux qui sont aujourd’hui les plus exposés, les plus précaires, les plus fragiles.

Si on regarde, à court terme, comment le dérèglement planétaire redistribue la donne, il semble que pour un certain nombre d’années encore, les 5 % à 10 % les plus aisés du monde, habitant principalement au sein des pays de l’OCDE ainsi que la Chine et la Russie, ne s’aperçoivent pas encore véritablement de la gravité de la situation : ils sont moins fragilisés, vivent dans des États relativement stables qui érigent des barrières contre les migrants, ont accès à un standing de vie qui nécessite un échange écologique inégal avec le reste de la planète, où se trouve l’essentiel des ateliers de production et des sites d’extraction. Pour eux, « tout va bien » tant qu’ils continuent à bénéficier d’un système politique et économique qui externalise la violence vers les autres territoires, populations et espèces du monde.

De l’autre côté, la moitié la plus défavorisée de l’humanité, pourrait se trouver en danger vital. Cette moitié n’a rien reçu des richesses générées en 2017 dans le monde tandis que 82 % de celles-ci ont profité aux 1 % les plus riches du monde. Alors que les uns s’achètent des canots de sauvetage, les autres triment dans les ateliers du monde dans des conditions de pollution extrême, ou sur des terres de moins en moins fertiles. Entre 200 millions et un milliard d’humains pourraient devenir des réfugiés à l’horizon 2050. Il faut se rendre compte de la violence du changement climatique qui s’ajoute et se combine aux violences sociales subies par ces « damnés de la terre ».

Nous vivons certes tous sur la même planète, mais nous n’avons pas tous le même destin. Certains groupes sociaux n’ont aucun intérêt à ce que cela change.

Quand on voit l’écart entre les plus riches et les milliards de personnes les plus affectées par les dégâts climatiques, ou les écarts des coûts et bénéfices du réchauffement selon les régions et les États, force est de constater que le discours qui consiste à clamer « Nous sommes tous concernés, nous devons agir ensemble », ne tient pas la route. Il y aura des gagnants et des perdants du réchauffement climatique. Certains pays – comme la Russie et les monarchies pétrolières du Golfe – et certains groupes sociaux n’ont aucun intérêt à ce que cela change. Non, nous ne sommes pas tous dans le même bateau, ou alors pas dans la même classe ni avec le même accès au restaurant et aux canots.

Et dans l’affaire, la planète est neutre : ce n’est pas elle qui limitera notre folie consumériste.

Nous ne pouvons donc plus compter sur ces limites et sur une pénurie de ressources – le fameux « pic » pétrolier – pour nous arrêter à temps. Seul le volontarisme politique, aiguillonné par une insurrection des sociétés civiles, peut permettre d’éviter le pire.

Nous connaissons l’existence de réserves fossiles sous nos pieds, que pourtant nous devons absolument apprendre à ne pas extraire.

Comme les initiatives individuelles ne suffiront pas à changer de modèle de société, il faudra nécessairement en passer par le politique.

En politique, il est temps que le sérieux change de camp. Des leaders politiques, des institutions ou des entreprises ne peuvent plus être considérés comme sérieux s’il n’ont pas des propositions claires, pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et l’empreinte écologique d’ici cinq ans. S’ils placent la compétitivité, la croissance et le business avant, ils devront laisser la place à des politiques plus à même de préserver nos vies, nos valeurs de solidarité, et un état habitable du monde.

Mais qu’est-ce qui pourrait amener les politiques de l’ancien monde à laisser place aux politiques d’un monde nouveau ? Une insurrection des sociétés civiles ?

la fabrique des démagogues

Dans un article intitulé au Brésil, la fabrique des démagogues, Glenn Greenwald illustre le fait que la santé d’une démocratie et les libertés politiques sont indissociables de la confiance en les institutions.

Cette situation générale démontre ce que les élites […] refusent toujours d’admettre : l’autoritarisme ne naît pas de nulle part. Les démagogues ne peuvent pas s’épanouir au milieu d’institutions fonctionnelles, justes et équitables. Menacer la démocratie et les libertés politiques ne devient possible que lorsque la population perd la confiance qui la liait aux institutions.

Dans les pays où l’abstention est élevée, il pourrait y avoir un lien avec les scandales à répétition concernant le monde politique et institutionnel, à commencer par ceux liés à la corruption.

le retour des boulots à la con

L’anthropologue américain David Graeber a publié en 2013 une théorie qui postule que la société moderne repose sur l’aliénation de la vaste majorité des travailleurs de bureau, amenés à dédier leur vie à des tâches inutiles et sans réel intérêt pour la société, mais qui permettent malgré tout de maintenir de l’emploi.

A l’occasion de la sortie de son livre bullshit jobs: a theory, un article intitulé le retour des boulots à la con reprend les 5 catégories de boulots à la con :

Les « flunky jobs » existent pour flatter l’ego d’un supérieur. Certaines catégories de domestiques, déjà analysées par T. Veblen dans sa Théorie de la classe de loisir, peuvent être considérées comme des ancêtres de nos « flunky jobs » contemporains.

Les « goons » existent par mimétisme – puisque d’autres les emploient, on se doit d’en employer – et ont très souvent une dimension agressive ou manipulatrice, par exemple les lobbyistes, les opérateurs télémarketing ou les avocats d’entreprises.

Les « duct tapers » dont la raison d’être est due à des défauts structurels, souvent de conception, d’une organisation et qu’ils doivent colmater en permanence. Ces emplois sont habituellement occupés par des femmes ou par la classe ouvrière.

Les « box tickers » permettent à une organisation de dire qu’elle fait quelque chose qu’en fait elle ne fait pas.

Enfin, les « taskmasters » que Graeber classe en deux sous-catégories : les supérieurs qui distribuent du travail qui pourrait très bien être réalisé sans leur intervention et ceux qui encadrent la réalisation de boulots à la con et surtout en inventent de nouvelles formes.

Si la théorie de David Graeber fait polémique dans le monde du travaille, elle amènera peut-être certains à se poser des questions sur l’utilité réelle de leur boulot.

l'indemnité kilométrique vélo

L’indemnité kilométrique vélo est une indemnité versée par l’employeur aux salariés qui utilisent un vélo pour leurs déplacements domicile-travail, à hauteur du nombre de kilomètres parcourus. Cette indemnité vise à encourager l’usage du vélo en tant que mode de transport principal. L’indemnité kilométrique vélo est fixée à 0,25 €/km en France. Elle bénéficie d’un dispositif d’exonération de cotisations sociales pour les employeurs et d’impôt sur le revenu pour les salariés.

L’initiative est louable, mais reste timide. Si elle constitue la première mesure d’une série de mesures, alors c’est un bon début, vivement la suite. Mais si cela reste une mesure isolée, alors c’est un coup pour rien.

Tout d’abord contrairement aux frais de transport pour les automobiles qui viennent réduire l’impôt sur le revenu, l’indemnité kilométrique vélo est versée par l’employeur et non par l’état (comme une réduction de l’impôt sur le revenu). Elle est donc réservée à ceux qui ont un employeur. Les chômeurs et les indépendants ne peuvent pas en bénéficier.

En outre, le fait que le plafond d’exonération de cotisation sociale est fixé à 200 euros amène bien souvent les entreprises à plafonner l’indemnité kilométrique vélo à 200 euros. La conséquence est donc une indemnité kilométrique vélo au rabais.

Effectuons une petite simulation en considérant 3 cas différents :

  • Albert habite à 40 km de son travail, il effectue donc 80 km par jour travaillé. Il dispose d’une voiture berline de 6 chevaux fiscaux.
  • Bérénice habite à 10 km de son travail, elle effectue donc 20 km par jour travaillé. Elle dispose d’une petite voiture de 4 chevaux fiscaux.
  • Corinne habite à 10 km de son travail, elle effectue donc 20 km par jour travaillé. Elle a fait le choix d’effectuer ses trajets domicile-travail en vélo depuis que son employeur propose l’indemnité kilométrique vélo.

Albert, Bérénice et Corinne travaillent tous les trois 220 jours par an.

Albert habite à 40 km de son travail, ce qui est le plafond de prise en charge des frais de transport. Il bénéficie donc du maximum de la prise en charge possible. Il parcours en voiture 80 x 220 = 17600 km par an dans le cadre de ses trajets domicile-travail. En utilisant le simulateur disponible sur le site web des impôts, Albert sait qu’il peut bénéficier de 6876 € de réduction de son revenu imposable. Cette réduction du revenu imposable correspond à 0,39 € par kilomètre.

Bérénice habite à 10 km de son travail. Elle parcours en voiture 10 x 220 = 2200 km par an dans le cadre de ses trajets domicile-travail. En utilisant le simulateur disponible sur le site web des impôts, Bérénice sait qu’elle peut bénéficier de 1085 € de réduction de son revenu imposable. Cette réduction du revenu imposable correspond à 0,49 € par kilomètre.

Corinne habite à 10 km de son travail. Elle parcours en vélo 10 x 220 = 2200 km par an dans le cadre de ses trajets domicile-travail. En bénéficiant de l’indemnité kilométrique vélo, Bérénice sait qu’elle peut bénéficier de 200 € d’indemnité versée par son employeur. Cette indemnité est assimilable à une subvention par son employeur de 0,09 centime par kilomètre. L’indemnité de 0,25 €/km tombe à 0,09 € du fait du plafonnement de l’indemnité à 200 €. En outre, cette indemnité n’est pas prise en compte dans l’impôt sur le revenu (du fait de l’exonération), mais elle ne viendra pas non plus le diminuer.

Il est certes délicat de comparer une réduction de son revenu imposable et une prime non imposable. Il est d’ailleurs problématique de ne pouvoir comparer ces deux mécanismes incitatifs. En premier lieu, les parties prenantes sont différentes : l’état dans un cas, l’employeur dans l’autre cas. En outre, les modalités sont éloignées : réduction du revenu imposable dans un cas, prime non imposable dans l’autre cas.

A la lumière de la simulation de ces 3 cas, il apparaît que l’indemnité kilométrique vélo est bien en deçà de l’effort consenti par l’état français à l’automobile, que ce soit en terme de montant numéraire, ou en terme de kilomètre. Au regard des différences d’ordre de grandeur dans les sommes en jeux, il est légitime de se demander en quoi l’indemnité kilométrique vélo inciterait un salarié à abandonner sa voiture pour opter pour le vélo comme mode de déplacement principal ?

L’indemnité kilométrique vélo aurait pu être gérée par l’état français, tout comme le sont les frais kilométriques domicile-travail. Elle aurait ainsi pu ne pas être plafonnée à 200 € (qui est une limitation pour éviter que les entreprises profitent de cette niche fiscale pour payer leurs salariés sans verser de cotisation sociale). L’état aurait également pu faire preuve d’une vision à long terme et programmer une augmentation mécanique prévue et régulière du montant de l’indemnité au kilomètre (0,25 €/km en 2016, 0,50 €/km en 2020), cela aurait pu permettre aux automobilistes d’anticiper et de prévoir de ne pas remplacer leur voiture vieillissante afin de passer au vélo.

On peut estimer que cette indemnité est mieux que rien, certes, mais elle manque singulièrement d’ambition pour réellement encourager l’usage du vélo.

j'ai pas voté

En France, les élections successives voient le taux d’abstention augmenter de manière régulière. Et la caractéristique des abstentionnistes, c’est qu’ils n’expriment pas d’opinion. Leur opinion est donc souvent interprétée à tort et à travers par des éditorialistes trop heureux de se donner la légitimité de parler en leur nom.

Le documentaire intitulé j’ai pas voté aborde le sujet des abstentionnistes pour tenter de comprendre le sens de leur geste sans se cantonner dans les analyses superficielles ou orientées.

L’analyse du documentaire démarre sur le fait que tous les grands partis sont alignés sur les questions des politiques économiques et sociales. Par conséquent, le débat de fond est anéantis par la recherche du pouvoir.

La suite du documentaire imagine une parodie où les résultats d’une élection (dans le cas présent, les élections législatives de 2012) ne dissimuleraient pas l’abstention. Cette simulation de résultat suppose qu’une circonscription n’a aucun député élu si jamais l’abstention est majoritaire. Elle entraînerait un résultat surprenant : 17 députés élus sur 577.

S’ils formaient un parti, les abstentionnistes constitueraient une force politique extrêmement influente. Aujourd’hui, une partie des abstentionnistes ne se désintéressent pas de la politique, ils sont au contraire sont extrêmement politisés. Ces abstentionnistes politisés ne voient pas l’élection comme un moyen d’exprimer leur avis ou de faire progresser leurs idées.

La stratégie consciente du Front National est de recruter parmi ces abstentionnistes, de ratisser large auprès de tous les déçu des partis traditionnels.

La caractéristique d’une démocratie représentative est que le peuple n’a pas de pouvoir entre 2 élections. Une illustration de cette caractéristique réside malheureusement dans le traité de Lisbonne où 80 % du parlement était pour la ratification tandis que 55 % des Français se sont positionnés contre la ratification. Le résultat du référendum de 2005 fut nié suite à la ratification du traité par le parlement en 2008. Le gouvernement a donné au peuple une illusion de pouvoir en organisant un référendum, mais à brisé cette illusion en décidant finalement la ratification du traité de Lisbonne par le parlement.

Le documentaire pose alors une question essentielle : une démocratie représentative est-elle réellement une démocratie ? En repartant de -500 av. JC, l’histoire de la démocratie en Grèce amène à penser qu’aujourd’hui, la France n’est pas en démocratie mais sous un régime représentatif (inventé fin du 18ième, comme alternative à la démocratie et à la monarchie). Le fondateur de ce régime représentatif est l’abbé Sieyès. Ce leader révolutionnaire - et inventeur du système représentatif - rejetait explicitement le gouvernement démocratique afin d’exclure le peuple des décisions politiques, estimant que le peuple n’était pas capable de prendre des décisions.

Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-même la loi. Ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet état représentatif, ce serait un état démocratique.

Le régime actuel, hérité de la révolution française, est un régime où la légitimité vient du peuple (et non plus du droit divin), mais le pouvoir de décider revient aux représentants, à quelques-uns. La révolution de 1789 était une révolution des bourgeois. Avec la mise en place du suffrage censitaire, seuls les riches votaient. Cette révolution était bien une victoire du tiers-état sur la noblesse et le clergé. Mais c’était surtout une victoire de l’élite du tiers-état, à savoir les bourgeois. Et comme les bourgeois représentaient la totalité du tiers-état, il est normal que le système mis en place soit un système représentatif : cela permettait aux bourgeois de garder le pouvoir, en évitant de le partager avec le reste du tiers-état. Lors de cette révolution, le peuple n’a pas su défendre ses droits, même si Jean-Jacques Rousseau défend une vision de démocratie directe, en expliquant qu’un système représentatif est voué à l’échec car il est impossible de représenter fidèlement un peuple. Jean-Jacques Rousseau ne sera pas entendu et la vision de l’abbé Sieyès prendra le dessus.

Dans notre démocratie représentative, le vote est l’élément démocratique du gouvernement représentatif. Mais le vote n’est pas le fondement de la démocratie, il en est juste une de ses composantes. La France est souvent qualifiée de démocratie, il serait plus juste de la qualifier d’aristocratie élective.

Les représentant ne sont sociologiquement pas représentatifs de la population, ce sont principalement de vieux mâles blancs éduqués. La représentativité des représentants n’est aucunement garantie par la constitution. Mais que dit la constitution alors ?

L’article 2 de la constitution est ambitieux mais aussitôt corrigé par l’article 3 :

  • article 2 :

Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »

  • article 3 :

La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.

Le mandat impératif cher aux anarchistes est donc inconstitutionnel.

Une véritable démocratie repose sur le principe que chacun est jugé apte à produire du jugement politique, et donc à décider, directement, sans représentant.

Le système représentatif actuellement en vigueur en France repose sur le principe inverse : pour produire des décisions, il faudrait être qualifié, avoir des capacités supérieurs à celles du citoyen ordinaire. Le système politicien s’est organisé pour organiser cette qualification et produire ces capacités dites supérieures. Les politiciens sont presque tous des clones qui sortent des mêmes moules (Science Po, ENA) puis qui font leurs choix politique selon des stratégies d’opportunité de carrière plutôt qu’en fonction de leurs convictions. En ont-ils seulement ?

En outre, le cumul des mandats incite à la professionnalisation de la politique et est une des raisons de l’éloignement les citoyens de la chose publique. 80 % des députés et des sénateurs sont cumulards. Pourquoi voulez-vous qu’ils votent eux-même des lois mettant fin à cette situation confortable, ce verrou politique inamovible ? Ils cherchent seulement à protéger leur propre classe, la classe politique.

Dans le film le président de Henri Verneuil, le président joué par Jean-Gabin prononce un discours qui n’a pas pris une ride :

La politique devrait être une vocation, pas un métier.

Mais si l’élection ne permet pas de garantir le côté démocratique d’un système, comment faire pour se rapprocher de cet idéal démocratique ?

Le documentaire propose une idée qui est le fondement de la démocratie athénienne : le tirage au sort.

Il affirme que le tirage au sort de citoyens ordinaires à qui on permet d’avoir accès à des informations pertinentes et à une formation adéquate est une méthode très efficace pour mener un débat constructif. En définitive, ce documentaire un plébiscite du tirage au sort en remplacement de l’élection.

l'aiguille et la botte de foin

Un article passionnant intitulé l’aiguille et la botte de foin explique pourquoi la surveillance généralisée porte en elle le germe de l’erreur administrative et judiciaire.

Il prend l’exemple d’un algorithme basé sur une surveillance généralisée qui aurait 99 % de chance de signaler une personne liée à un réseau terroriste et seulement 0,1 % de chance de signaler un innocent comme étant lié à un réseau terroriste. L’algorithme semble d’excellente qualité, on serait évidemment tenté de le mettre en place.

Ce serait une très très mauvaise idée. En effet, en introduisant les notions de sensibilité d’un test, de spécificité d’un test et la fréquence de base, l’article explique que l’algorithme va certes détecter la majorité des terroristes, mais il va également accuser à tort énormément d’innocent.

Notre test (impossiblement bon) va détecter 99% * 7 000 = 6 930 des terroristes, en laissant passer 70 à travers les mailles du filet, ce qui parait intéressant, jusqu’à ce que l’on remarque qu’il va aussi détecter 0.1% des 69 993 000 innocents, soit 69 993 innocents.

Quand on sait que les algorithmes actuels présentent de bien moins bon résultats que cet algorithme fictif, on en arrive à la conclusion que la surveillance généralisée est une fausse solution dont l’effet principal est d’altérer la paix sociale.

élection et sincérité

Dans un article intitulé pour les socialistes en déroute, l’échec, c’est les autres…, Serge Halimi revient sur un discours prononcé par François Hollande, alors candidat à l’élection présentielle française.

M. Hollande avait en effet annoncé ceci dans son discours du Bourget (22 janvier 2012) : « Sur le plan européen, si les Français m’en donnent mandat, mon premier déplacement sera pour rencontrer la chancelière d’Allemagne et pour lui dire que nous devons ensemble changer l’orientation de l’Europe vers la croissance et dans le lancement de grands travaux. » Bilan : néant. Dans un livre-réquisitoire, son ancien conseiller Aquilino Morelle dévoile à ce propos que, « dès février 2012, juste après son discours du Bourget, Hollande envoyait, dans le plus grand secret, Emmanuel Macron à Berlin afin d’y rencontrer Nikolaus Meyer-Landrut, le conseiller d’Angela Merkel pour les affaires européennes, et, par son truchement, rassurer la chancelière sur la réalité de ses intentions. » Elle n’eut plus jamais motif à s’inquiéter.

Quand un mécanisme politique amène des politiciens à mentir sciemment dans le but de se faire élire, alors il est temps de reconnaître que le système en question est à revoir.

L’élection n’est pas un pilier de la démocratie, il n’en est qu’un mécanisme grippé.

coûts externes de l'automobile

En octobre 2012, le groupe des Verts/Alliance libre européenne au parlement européen a commandée à la Technische Universität Dresden une étude intitulée coûts externes de l’automobile, aperçu des estimations existantes dans l’Union européenne à 27.

Cette étude vise à montrer les affirmations qui voudraient que les voitures couvrent la totalité de leurs coûts internes et externes sont infondées. Elle cherche également à évaluer le montant des coûts externes de l’automobile, c’est à dire les coûts liés à l’automobile mais non pris en charge par les automobilistes.

Les coûts externes de l’automobile sont évalués à 373 milliards d’euros par an (dont 50 milliards pour la France), soit environ 3,0 % du PIB de l’UE. En répartissant cette somme pour chaque citoyen européen, on arrive à un montant conséquent.

Chaque citoyen de l’UE-27 paye pour son transport à titre privé. En moyenne, toutefois, chaque personne vivant dans l’UE-27, quel que soit son âge et son sexe, externalise 750 euros par an vers d’autres personnes, d’autres pays ou d’autres générations. Sur une période de 10 ans, une famille de quatre personnes accumule une «dette» de 30 000 euros.

En effectuant cette répartition par voiture et non plus par personne, on abouti à une idée du montant de la taxe qu’il faudrait instaurer sur la vente de chaque véhicule afin de couvrir ces coûts externes.

Pour chaque voiture européenne, 1 600 euros de coûts externes s’accumulent en moyenne chaque année. Pour une durée de vie d’environ 10 ans (moins de kilomètres sont parcourus pendant les dernières années), le coût pour la société par nouvelle voiture vendue pourrait tourner autour de 16 000 euros par voiture. Dans certains pays (par exemple, Singapour), les taxes à l’achat des véhicules se situent dans cette fourchette de prix ou même au-delà.

Une autre solution serait de taxer les véhicules en fonction de la distance parcouru, pour être plus juste.

Si nous utilisons ce chiffre de 50 euros par 1 000 vkm, nous parvenons à une proposition de redevance automobile de 5 centimes d’euro par kilomètre, selon la distance. Dans tous les pays européens, une taxe de protection du climat d’environ 5 centimes d’euro par kilomètre devrait être instaurée pour avancer en direction du principe de l’utilisateur payeur.

Si l’ordre de grandeur de cette taxe est donné (5 centimes d’euro par kilomètre), la manière de la percevoir n’est pas détaillée dans l’étude.

Les conclusions de la présente étude montrent que, de toute évidence, les affirmations fréquemment entendues qui voudraient que les voitures couvrent la totalité de leurs coûts internes et externes sont infondées. Même si cette étude ne se livre pas une estimation détaillée des redevances et des impôts spéciaux frappant les automobiles et attribuables à leurs coûts externes, il est évident qu’une somme de l’ordre de 300 à 400 millions d’euros réservés à ces coûts ne peut être atteinte. C’est tout le contraire, il faut constater que le trafic automobile dans l’UE est fortement subventionné par d’autres personnes, d’autres régions et par les générations futures: les personnes résidant le long de routes principales, les contribuables, les personnes âgées ne possédant pas une voiture, les pays voisins, les enfants, les petits-enfants et toutes les générations futures subventionnent le trafic actuel. Ils doivent ou devront payer une partie de la facture.

Cette subvention massive de l’automobile via les externalités est malheureusement complètement absent du débat public.

les prospérités du vice

Dans un article intitulé les prospérités du vice l’auteur cite bernard Mandeville - médecin et philosophe du 18ième siècle - qui nous propose une fable intitulée la fable des abeilles. Cette fable illustre le fait que la dimension individualiste du capitalisme fait partie de celui-ci depuis ses débuts, à l’inverse de l’image classique du capitalisme décrit comme “ascétique, rigoriste, autoritaire, puritain et patriarcal” par Max Weber.

Pour Mandeville, traduit en allemand dès 1761 et retraduit à l’époque de Weber, le vice, et non la vertu, se trouve à l’origine de ce qu’on appellera capitalisme. Mieux, le vice, moteur initial, parce qu’il recherche d’emblée la richesse et la puissance, produit malgré lui de la vertu. Ce dont témoigne la maxime centrale de la Fable : « Les vices privés font la vertu publique », non seulement parce qu’ils brisent les entraves morales véhiculées par les histoires édifiantes colportées de génération en génération (Mandeville, médecin, était plus précisément « médecin de l’âme », c’est-à-dire « psy » comme on dirait aujourd’hui), mais aussi parce qu’en libérant les appétits ils apportent une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société. Ce qui promet le passage d’un état de pénurie à celui d’abondance. Aussi Mandeville n’hésite-t-il pas à dire que la guerre, le vol, la prostitution et la luxure, l’alcool et les drogues, la recherche féroce du gain, la pollution (pour employer un mot contemporain), le luxe, etc., contribuent en fait au bien commun. Tous ces vices s’expriment, comme il le répète dans une formule rituelle, « à l’avantage de la société civile ».

Si “les vices privés font la vertu publique”, c’est que la mesure de la croissance est vue à travers le prisme du PIB dont la pertinence reste à démontrer. Si des accidents de voiture génèrent des soins, des réparations et des achats de voiture, ceux-ci génèrent du chiffre d’affaire pour certains mais n’augmente pas la qualité de vie globale de la société.

La dérive individualiste du néolibéralisme ne serait donc pas une dérive à corriger. Elle serait l’ADN même du libéralisme.

En redonnant à la conception mandevillienne toute sa place et en se libérant du conte wébérien, on découvre que le célèbre « nouvel esprit du capitalisme », jouisseur et hédoniste, est peut-être beaucoup plus ancien qu’on ne le croit : il a été énoncé comme le programme original du capitalisme aux prémices mêmes de la première révolution industrielle…

Si la seule mesure du progrès est la mesure économique et financière, alors on peut penser qu’en effet “les vices privés font la vertu publique”. En revanche, si le partage des richesses et le bien-être sont des notions qui font sens, alors la fable des abeilles est simplement l’illustration que l’esprit du capitalisme s’incarne dans des esprits égoïstes.